Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/359

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siècle, une cire bénie recommandée aux pauvres matelots qui passent par l’inscription que voici :

vna limosna para
alvmbrar al sto cto
d. bven biaje
año
1756

« Une aumône pour éclairer le Saint-Christ du bon voyage. — An 1756. »

Maintenant vous connaissez la maison, vous connaissez les habitants. Je vous ai dit où est ma chambre ; mais je ne vous ai pas dit ce qu’elle est. Figurez-vous quatre murs blancs, deux chaises de paille, une cuvette sur trépied, un chapeau d’enfant orné de plumes et de verroteries suspendu à un clou, une tablette portant quelques pots de pommade et trois volumes dépareillés de Jean-Jacques Rousseau, un lit à baldaquin antique de fort belle perse, avec deux matelas durs comme marbre et un chef de bois peint le plus joli du monde, un miroir penché à encadrement exquis accroché au mur, et une porte de cave qui ne ferme pas. Voilà ma chambre. Ajoutez-y la porte-fenêtre dont je vous ai déjà parlé et ma table qui est sur le balcon. De mon lit je vois la mer et la montagne.

Vous voyez que, malgré les prédictions sinistres des gens civilisés de Saint-Sébastien, j’ai réussi à me loger chez les hurons de Pasages.

Maintenant ai-je réussi à y vivre ? Jugez-en.

Sur ma table à tapis vert qui ne quitte pas le balcon, la gracieuse Pepa, qui s’éveille avec l’aube, vient, vers dix heures, poser une serviette blanche ; puis elle m’apporte des huîtres détachées le matin même des rochers de la baie, deux côtelettes d’agneau, une loubine frite qui est un délicieux poisson, des œufs sur le plat sucrés, une crème au chocolat, des poires et des pêches, une tasse de fort bon café et un verre de vin de Malaga. Je bois d’ailleurs du cidre, ne pouvant me faire au vin de peau de bouc. Ceci est mon déjeuner.

Voici mon dîner, qui a lieu le soir vers sept heures, quand je suis revenu de mes courses dans la baie ou sur la côte. Une excellente soupe, le puchero avec le lard et les pois chiches sans le safran et les piments, des tranches de merluche frites dans l’huile, un poulet rôti, une salade de cresson cueilli dans le ruisseau du lavoir, des petits pois aux œufs durs, un gâteau de maïs au lait et à la fleur d’oranger, des brugnons, des fraises et un verre de vin de Malaga.

Pendant que Pépita me sert, allant et venant autour de moi, toutes ces