Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/360

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choses qui sollicitent mon appétit de montagnard, le soleil se couche, la lune se lève, un bateau pêcheur sort de la baie, tous les spectacles de l’océan et des montagnes se déploient devant moi mariés à tous les spectacles du ciel. Je parle basque et espagnol à Pépita. Je lui conte des histoires de sorciers que j’invente incroyables et auxquelles j’ai l’air de croire, elle rit et tâche de me dissuader, j’entends chanter au loin les batelières, et je ne m’aperçois pas que la porcelaine est en faïence et l’argenterie en étain.

Tout cela me coûte cinq francs par jour.

À Saint-Sébastien, on me croit probablement mort de faim et dévoré par les sauvages.

Du reste, rien ne m’a été plus facile que de m’installer ici. J’ai demandé à Manuela si elle connaîtrait à Pasages une maison où je pusse me loger pendant quelques jours. La fantaisie a d’abord un peu surpris Manuela ; mais j’ai insisté, et elle m’a conduit où je suis. La digne madame Basquetz m’a accueilli avec un sourire ; je lui ai donné le prix qu’elle m’a demandé. C’est fort simple, comme vous voyez.


La baie du Passage, abritée de toutes parts et de tous les vents, pourrait faire un port magnifique. Napoléon l’avait pensé, et, comme il était bon ingénieur, il avait lui-même crayonné un plan des travaux à faire. Le bassin a plusieurs lieues de tour et le goulet qui mène à la mer est tellement étroit qu’il ne peut y passer qu’un seul bâtiment à la fois. Ce goulet, resserré entre deux hautes croupes de rochers, est lui-même partagé en trois petits bassins que séparent des étranglements faciles à fortifier et à défendre.

Au seizième siècle, la compagnie de Caracas, réunie depuis à celle des Philippines, avait son entrepôt et ses magasins à Pasages. Elle avait fait construire pour protéger la baie la belle tour qui en est aujourd’hui l’ornement. Cette tour a été démantelée il y a quelques années par les carlistes.

Les carlistes, soit dit en passant, ont laissé de tristes traces à Pasages. Ils ont démoli et brûlé plusieurs maisons. Celle où je demeure n’a été que pillée. — Grand bonheur ! me disait mon hôtesse en joignant les mains.

Les anglais aussi ont occupé Pasages à diverses époques, et tout récemment encore.

Ils avaient bâti sur les points élevés de la côte quelques forts, aujourd’hui détruits. Ceux-là ont été brûlés par les habitants. Et, s’il faut tout dire, ces incendies ont été des feux de joie. Les anglais ne sont pas aimés dans le Guipuzcoa. Le débarquement de lord Wellington avec les portugais en 1813 est pour les basques un sinistre souvenir. Les cœurs de ces montagnards ont comme ces montagnes de longs et profonds échos, et le bombardement de Saint-Sébastien y retentit encore.