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Saint-Jean-de-Day, 30 juin.

Il fait une chaleur extrême, et je pense à Fourqueux, où il fait peut-être aussi chaud qu’à Saint-Jean-de-Day. Pauvre amie, je te souhaite tous les bons courants d’air frais qui me manquent ici. Je souffre pour toi de cette chaleur, que je reporte là-bas.

Je viens de suivre, du reste, une route charmante. J’ai quitté hier les admirables clochers de Coutances qui tremblent au vent de mer (ceci sans la moindre exagération). La route est belle et ombragée. À tous moments de délicieuses petites chaumières pleines de fleurs.

C’est une rencontre bien jolie et bien gracieuse qu’une chaumière au bord du chemin. De ces quelques bottes de paille dont le paysan croit faire un toit, la nature fait un jardin. À peine le vilain a-t-il fini son œuvre triviale que le printemps s’en empare, souffle dessus, y mêle mille graines qu’il a dans son haleine, et en moins d’un mois le toit végète, vit et fleurit. S’il est de paille, comme dans l’intérieur des terres, ce sont de belles végétations jaunes, vertes, rouges, admirablement mêlées pour l’œil. Si c’est au bord de la mer, et si le chaume est fait d’ajoncs, comme auprès de Saint-Malo, par exemple, ce sont de magnifiques mousses roses, robustes comme des goëmons, qui caparaçonnent la cabane. Si bien qu’il faut vraiment très peu de temps en un rayon de soleil et un souffle d’air pour que le misérable gueux ait sur sa tête des jardins suspendus comme Sémiramis. Depuis que j’ai quitté Paris, je ne vois que cela. À chaque hoquet du printemps une chaumière fleurit.

À Avranches, que j’ai visitée en quittant le Mont-Saint-Michel, il y a une magnifique vue, mais il n’y a que cela. Autrefois il y avait trois clochers, maintenant il y a trois télégraphes qui se content réciproquement leurs commérages. Or, les bavardages d’un télégraphe font un médiocre effet dans le paysage. Où es-tu, 'savant Huet, évêque d’Avranches, si souvent cité par Voltaire ?

J’ai fait une promenade en mer à Granville. Il faut que je te l’a conte.

Arrivé au bout de la jetée, je saute dans un canot, et me voilà voguant. Je passe la jetée, nous sommes en pleine mer, et c’est alors, au balancement des grosses vagues, que je songe à examiner mon équipage. Deux gamins de douze ans, deux avirons retenus par des ficelles, aucun mât, une coquille de noisette, c’était là mon embarcation. Le temps était beau, le ciel bleu gris, le soleil chaud de plomb, mais la marée descendait et nous entraînait