faiseuses de langues), il est sorti une langue qui, certes, aura aussi ses grands écrivains, nous n’en doutons pas ; une langue forgée pour tous les accidents possibles de la pensée ; langue qui, selon le besoin de celui qui s’en sert, a la grâce et la naïveté des allures comme au seizième siècle, la fierté des tournures et la phrase à grands plis comme au dix-septième, le calme, l’équilibre et la clarté comme au dix-huitième ; langue propre à ce siècle, qui résume trois formes excellentes de notre idiome sous une forme plus développée et plus complète, et avec laquelle aujourd’hui l’écrivain qui en aurait le génie pourrait sentir comme Rousseau, penser comme Corneille, et peindre comme Matthieu.
Cette langue est aujourd’hui à peu près faite. Comme prose, ceux qui l’étudient dans les notables écrivains qu’elle possède déjà, et que nous pourrions nommer, savent qu’elle a mille lois à elle, mille secrets, mille propriétés, mille ressources nées tant de son fonds personnel que de la mise en commun du fonds des trois langues qui l’ont précédée et qu’elle multiplie les unes par les autres. Elle a aussi sa prosodie particulière et toutes sortes de petites règles intérieures connues seulement de ceux qui pratiquent, et sans lesquelles il n’y a pas plus de prose que de vers. Comme poésie, elle est aussi bien construite pour la rêverie que pour la pensée, pour l’ode que pour le drame. Elle a été remaniée dans le vers par le mètre, dans la strophe par le rhythme. De là, une harmonie toute neuve, plus riche que l’ancienne, plus compliquée, plus profonde, et qui gagne tous les jours de nouvelles octaves.
Telle est, avec tous les développements que nous ne pouvons donner ici à notre pensée, la langue que l’art du dix-neuvième siècle s’est faite, et avec laquelle en particulier il va parler aux masses du haut de la scène. Sans doute la scène, qui a ses lois d’optique et de concentration, modifiera cette langue d’une certaine façon, mais sans y rien altérer d’essentiel. Il faudra par exemple à la scène une prose aussi en saillie que possible, très fermement sculptée, très nettement ciselée, ne jetant aucune ombre douteuse sur la pensée, et presque en ronde bosse ; il faudra à la scène un vers où les charnières soient assez multipliées pour qu’on puisse le plier et le superposer à toutes les formes les plus brusques et les plus saccadées du dialogue et de la passion. La prose en relief, c’est un besoin du théâtre ; le vers brisé, c’est un besoin du drame.
Ceci une fois posé et admis, nous croyons que désormais tous les progrès de forme sérieux qui seront dans le sens grammatical de la langue doivent être étudiés, applaudis et adoptés. Et qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée, appeler les progrès, ce n’est pas encourager les modes. Les modes dans les arts font autant de mal que les révolutions font de bien. Les modes substituent le chic, le poncif et le procédé d’atelier à l’étude austère du