Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/346

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le plus doux de sa race d’ailleurs, faisait étrangler l’enfant de sa fille, son petit-fils. Le jeune shah de Perse actuel, à son avènement, en entrant dans une ville qui avait été lente, à le reconnaître, a reçu en présent sur un plat d’or trente livres pesant d’yeux arrachés. Voilà pour l’Asie ; en Afrique, l’avènement du roi de Dahomey, l’an 1861, a eu aussi sa fête ; on a égorgé trois mille nègres pour faire, selon l’usage, un petit lac de sang humain où le nouveau roi pût se promener en nacelle. En Amérique, l’esclavage, chancre, dévore la face d’une république ; on est marchand d’hommes, on est propriétaire de femmes ; voici une annonce de quatrième page d’un journal que je copie : A vendre, deux porcs gras, quatre places dans le banc N" 83 côté Est de l’église de paroisse, un nègre charpentier et maçon, une négresse de quatorze ans, un petit cheval avec une charrette à ressorts et harnais. S’adresser chez P. Cudder, rue du Marché On achète une jeune fille comme une jument ; on met à l’encan séparément la mère et l’enfant ; on adjuge le nourrisson à un maître et la mamelle à un autre ; ces républicains sont des citoyens à cachots et à sérails, dont chacun trouve moyen d’être dans cent toises carrées czar et sultan ; ils mettent sur leur coalition de tyrannies cet écriteau : Liberté. Mais quoi, le Dahomey, la Perse, l’Amérique, ah ! que n’allez-vous en Chine ! Vous les prenez loin, vos exemples ! Soit. Rapprochons-nous. En Espagne, la couronne catholique envoie aux galères pour dix ans quiconque lit la Bible ; l’Autriche applique la carcere duro à ce cri : Vive Venise ! À Naples, avant que Garibaldi vînt, il y avait la chaise ardente ; à Rome, il y a la mordacchia. Est-ce que nous n’avons pas en Europe, et parmi nos contemporains, quelqu’un qui s’appelle Haynau et quelqu’un qui s’appelle Gorstchakoff ? Écoutez ceci : Un cortège passe dans une rue, une foule suit un corbillard, dans ce corbillard il y a le cadavre d’une femme ; amis et parents sont vêtus de deuil, le silence est profond, la douleur est profonde, on pleure sur une famille ; la femme est morte, le mari est exilé. Les larmes, quelle audace ! Être en noir, quelle rébellion ! C’est outrager le maître que de sangloter dans une affaire où il y a de l’exil. Cette bière devait s’en aller seule. Que vient faire là cette foule ? On ne doit pas savoir que la femme est morte, puisque le mari est proscrit. L’ordre est troublé, il importe de le rétablir. Le convoi suit sa marche, fronts baissés, têtes découvertes, pas un cri, pas un mot : des prières derrière un linceul. Tout à coup d’une rue latérale débouche au galop un régiment de cavalerie le sabre au fourreau, et le fouet à la main. Cette cohue se rue sur ce deuil, hurle, blasphème, insulte, piétine, et les coups de fouet pleuvent sur ceux qui pleurent. La foule joint les mains, tombe à genoux, fuit, se disperse, et dans le tumulte on entend quelque chose qui rend un son creux ; c’est le cercueil sous la fustigation des soldats : la morte a sa part du knout. Où cela s’est-il passé ? en Pologne. Dans quelle ville ? A Varsovie. Qu’était-ce que ce régiment ? des cosaques. Le nom de la morte ? La comtesse Zamoïska. L’année ? 1862. Le mois ? Novembre. C’était hier. L’Autriche fouette les femmes ? La Russie fouette les tombes. Que dites-vous du spécimen ? La tyrannie est-elle un rêve ? Le tyran existe-t-il, oui ou non ?