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RELIGIONS ET RELIGION.

Qu’on se damne en carême à manger du jambon ;
Que pour faire un saint Pierre un Jupiter soit bon,
Et que la foule, au fond des hautes basiliques,
Use un orteil païen de baisers catholiques,
Si bien qu’un vieux Très-Haut ressert et se revend,
Et qu’avec un dieu mort on bâcle un saint vivant ;
Qu’ainsi qu’un terre-neuve attaque un boule-dogue,
La mosquée en fureur morde la synagogue ;
Que Rome ait en dédain Moscou ; que Borgia
Soit pour la Vierge et non pour la Panagia ;
Que les frontons sacrés changent d’hiéroglyphe ;
Que le blanc d’Hildebrand soit le noir de Caïphe ;
Que l’homme à Mahomet donne un dôme écrasé,
À Notre-Dame un chœur fait en bois menuisé,
Au grand éléphant blanc un éventail de plumes ;
Qu’il ait ses dieux brochés en plusieurs gros volumes ;
Qu’il discute si c’est le Pinde, âpre coteau,
Qui vit l’hydre déesse, Amphitrite Céto,
Sortir de la mer bleue et triste, ou si l’Élide
La première aperçut l’effroyable annélide ;
Qu’il donne Thèbe aux sphinx et Tyr aux belzébuths ;
Qu’il appelle le jour Adonis ou Phébus ;
Qu’il écoute de Pan les invisibles flûtes ;
Qu’il bâtisse un cromlech avec des pierres brutes,
Ou fasse à Phidias sculpter le Parthénon ;
Qu’il juche Dieu sur l’aigle ou bien sur un ânon ;
Qu’il serve le Baal avec la Baaltide ;
Qu’il soit évêque, et propre, ou derviche, et fétide,
Vil caloyer barbu, beau diacre tonsuré,
Très révérend ministre, ou monsieur le curé ;
Que la sottise autour du mensonge se groupe ;
Que le meilleur orfèvre, avec sa bonne loupe,
Ne puisse distinguer les dieux vrais des dieux faux ;
Que le rêve ait Endor, que la chair ait Paphos ;
Qu’avant de croire en Dieu, le genre humain le crée ;
Que sous la pression de la crainte sacrée,
Que, sous la pesanteur des vagues régions,