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PHILOSOPHIE.

Les superstitions et les religions
Sortent de son esprit comme l’eau des éponges ;
Que, sans savoir pourquoi, dans un noir tas de songes,
Il choisisse tel dogme ou tel autre ; qu’en bloc,
Acceptant Irmensul, il rejette Moloch ;
Qu’il adopte une idole infâme et s’en entiche,
Faisant le délicat pour quelque autre fétiche ;
Que, sur Dieu, pour savoir s’il est de bonne humeur,
Il consulte le vent ou le flot en rumeur,
Ou la flamme, ou l’oiseau planant dans des tempêtes ;
Qu’il nourrisse ce Dieu de la viande des bêtes,
De gâteaux sans levain ou de pain trois fois cuit,
Qu’est-ce que cela fait, homme, au puits de la nuit ?
Qu’est-ce que cela fait au précipice énorme,
Où la vie en de l’ombre et du vent se transforme,
Où le songeur hagard n’aperçoit vaguement
Qu’un incommensurable et sombre écroulement,
Où le jour, blêmissant dans les vides sans bornes,
Meurt dans l’aveuglement des immensités mornes !

Invente, si tu veux, toi, ta doctrine aussi,
Et quand tu l’auras faite et construite, crois-y ;
Combine, tu le peux, d’autres idolâtries.

Après ces tourbillons de croyances flétries,
Après ces larves, Bel, Ammon, Janus, Rhéa,
Osiris, Odin, Thor, que la guerre créa,
Ces enfers, ces édens, ces cieux, ces rêveries,
Et les houris donnant la main aux walkyries,
Homme, après le dieu bœuf, après le dieu dragon,
Après Chronos, après Magog, après Dagon,
Apportés, remportés par les nuits grandissantes,
Qu’importe à l’infini livide que tu sentes
Une religion de plus, flottant au bord
De tout ce que tu fais dans la brume du sort,
Promener sur ton front son souffle de fantôme,
Et, dans l’ombre sans forme, où tu rêves un dôme,