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RIEN.

Qui semblent des édens ou des bagnes nocturnes,
Et qu’on rêve peuplés d’anges ou de démons
D’après l’ombre que font sur leur face les monts ;
Ces visions de cieux que rougit ou que dore
Tantôt le soir sanglant, tantôt la fauve aurore ;
Ces lunes dont on voit l’épouvantable flanc ;
Ces blêmes tourbillons, ces abîmes roulant
Des apparitions de mondes dans leurs vagues ;
Cette succession de créations vagues
Qu’on aperçoit au fond des gouffres entr’ouverts ;
Cet enchevêtrement d’astres et d’univers
Dont la série immense et pâle se dévide
Dans le ciel, dit Platon ; Pyrrhon dit : dans le vide ;
Spectres qui n’ont entre eux rien de commun, sinon
Qu’un chaînon traîne et tire à lui l’autre chaînon ;
Ces constellations confusément tournées
Par la roue invisible et sombre des années,
Et qui te feraient peur si nous pénétrions
Jusqu’aux profonds azurs de leurs septentrions ;
Ces masques effrayants d’une vie inconnue
Qu’entrevoit le songeur au-delà de la nue ;
Ces firmaments qu’on sonde et dont on n’est pas sûr ;
L’aérolithe, errant en foule dans l’azur,
Plus nombreux que l’abeille au sommet de l’Hymète,
Le météore au vol furieux, la comète
Qui s’évade d’un ciel comme d’un cabanon,
Tous ces mondes ne sont que les formes, sans nom
De l’obscurité vaste et morne des espaces ;
Et que gagneras-tu, toi, pauvre esprit qui passes,
Quand tu mêleras l’homme, et son trouble, et son bruit,
À ces nœuds de fumée ondoyant dans la nuit ?

« Dieu n’est pas. Nie et dors. Tu n’es pas responsable.
Ris de l’inaccessible, étant l’insaisissable.
Sois humble, pas de ciel. Pas d’enfer, sois content.
Fais ce que tu voudras. Personne ne t’attend.
J’ai dit. — »