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L’ÂNE.

X

RÉACTION DE LA CRÉATION SUR L’HOMME.

L’âne fit un silence, et, murmurant : — Voilà !
C’est ainsi. Je n’y puis que faire ! — il grommela :

— Se contredire un peu, Kant, c’est le droit des gloses ;
Quand on veut tout peser, on rencontre des choses
Qui semblent l’opposé de ce qu’on avait dit ;
Non aux basques de Oui toujours se suspendit,
Riant de la logique et narguant les méthodes ;
Qui tourne autour d’un monde arrive aux antipodes ;
Kant, je n’userai point de ce droit ; seulement
Après t’avoir montré les hommes blasphémant,
Niant, méconnaissant et méprisant la Chose,
Cet océan où l’Être insondable repose,
Il faut bien te montrer la Chose enveloppant
Les hommes submergés dans Dieu qui se répand
Et qui sur eux se verse et qui se verse encore,
Tantôt en flots de nuit, tantôt en flots d’aurore ;
Après t’avoir montré l’atome outrageant Tout,
Il faut bien te montrer la grande ombre debout.

Homme, ce monde est vaste, obscur, crépusculaire ;
L’immuable l’habite et l’imprévu l’éclaire ;
Ce monde est éclatant, clair, ténébreux, mêlé
De miracle orageux, de miracle étoilé ;
Il est souffle, âme, esprit, lit, chaos, cimetière ;
Dès qu’on veut essayer d’en trouver la frontière
Et de voir par-dessus la terrestre cloison,
À chaque pas que fait le marcheur, l’horizon
Se prolonge, toujours plus noir, toujours plus large ;