Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XII.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

XXIV Ah ! prenez garde


Ah ! prenez garde à ceux que vous jetez au bagne !
La colère devient leur sinistre compagne.
Cet homme était né bon, et le voilà méchant.
Dans ce cerveau pensif qui va se desséchant,
La conscience meurt comme expire une lampe.
L’innocence est un feu redoutable qui rampe
Et couve sous la peine injuste, et lentement
Emplit un coeur de fiel et de ressentiment ;
On sent en soi grandir une fournaise infâme
Faite de ce qu’on a de plus noble dans l’âme.
Quel spectre : qu’un forçat sans tache, en qui se tord
Une rage à laquelle on ne peut donner tort !
Lui, l’honnête homme, il est dans le gouffre de honte !
Vous tous, s’il peut jamais vous en demander compte,
Oh ! comme il châtiera votre exécrable erreur !
Plus il eut de vertu, plus il a de fureur,
Noircissement étrange et terrible du cygne !
N’espérez pas qu’au bagne inique on se résigne.

On attise sa haine avec tous ses amours ;
Vengeance ! on songe aux coeurs adorés, aux beaux jours,
A cet azur charmant de la vie innocente,
A la mère, à la soeur, à la femme, à l’absente,
Aux chansons, au travail probe, libre, assidu,
A tout ce paradis doré qu’on a perdu,
Aux doux petits enfants qu’avec furie on nomme,
Aux anges, et ce ciel creuse un enfer dans l’homme.

12 janvier.

XXV Un homme est innocent ;