Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIV.djvu/73

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Tant on se fie, ainsi qu’aux ténèbres d’un bois,
A la stupidité profonde des bourgeois !
Qu’ils seraient furieux, ces gérontes qui bâillent,
S’ils savaient comme ceux qui les servent, les raillent !
S’ils entendaient les gens achetés parler d’eux !
S’ils savaient à quel point par ces moqueurs hideux,
L’épaisseur de leur âme obscure est exploitée !
Tel insulteur bigot est un farceur athée ;
Il est épouvantable et doux, fait son métier,
Rit, et l’encre du diable est dans le bénitier.
Ne rien aimer, ne rien haïr ; être des drôles ;
Comme c’est simple ! avoir un masque, avoir des rôles,
Les prendre, les quitter, être froid, être chaud,
Admirer tout bas ceux qu’on déchire tout haut,
Cela ne fait de mal à personne. On enseigne
Aux badauds qu’un titan sur la montagne saigne,
Mais qu’il le fait exprès ; que Caton sans espoir
N’est qu’un ambitieux ; que le soleil est noir,
Que partout le droit tombe et que la force monte ;
On leur fait épeler l’A B C de la honte ;
On ouvre école ; on montre aux goîtreux l’alphabet
Expliquant le bûcher de Jean Huss, le gibet
De Coligny, la corde au cou de Galilée’ ;
On suspend l’imposture à la voûte étoilée,
Et l’ombre qui descend de là change en baudets
Ceux qui viennent brûler un cierge sous ce dais ;
On leur apprend qu’apprendre est mauvais, que se taire
C’est penser, et qu’un homme est leur propriétaire
S’il se nomme Habsbourg, Bonaparte ou Bourbon ;
Et tout en s’écriant : Comme cela sent bon !
On leur penche le nez sur le fakir fétide ;
On déclare à Prudhomme ébahi qu’Aristide
Fut un gueux, et qu’au fond Turgot est un escroc ;
S’il s’étonne, on lui dit : Tais-toi. Ce serait trop,
O crétin, s’il fallait encor que tu comprisses !
On livre les Brutus au rire des Jocrisses ;
On prouve la bonté du mal, du roi, du fer,