Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/257

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Une grande femme pâle, vêtue de blanc, était devant elle. Elle présentait à Éthel un sourire doux comme du miel empoisonné, et il y avait, derrière son regard paisible et bienveillant, comme une expression de haine, de dépit et d’admiration involontaire.

Éthel la considéra avec étonnement, presque avec crainte. Depuis sa vieille nourrice, qui était morte entre ses bras, c’était la première femme qu’elle voyait dans la sombre enceinte de Munckholm.

— Mon enfant, dit doucement l’étrangère, vous êtes la fille du prisonnier de Munckholm ?

Éthel ne put s’empêcher de détourner la tête, quelque chose en elle ne sympathisait pas avec l’étrangère, et il lui semblait qu’il y avait du venin dans le souffle qui accompagnait cette douce voix. Elle répondit :

— Je m’appelle Éthel Schumacker. Mon père dit qu’on me nommait, dans mon berceau, comtesse de Tonsberg et princesse de Wollin.

— Votre père vous dit cela ! s’écria la grande femme avec un accent qu’elle réprima aussitôt. Puis elle ajouta : — Vous avez éprouvé bien des malheurs !

— Le malheur m’a reçue à ma naissance dans ses bras de fer, répondit la jeune prisonnière ; mon noble père dit qu’il ne me quittera qu’à ma mort.

Un sourire passa sur les lèvres de l’étrangère, qui reprit du ton de la pitié :

— Et vous ne murmurez pas contre ceux qui ont jeté votre vie dans ce cachot ? vous ne maudissez pas les auteurs de votre infortune ?

— Non, de peur que notre malédiction n’attire sur eux des maux pareils à ceux qu’ils nous font souffrir.

— Et, continua la femme blanche avec un front impassible, connaissez-vous les auteurs de ces maux dont vous vous plaignez ?

Éthel réfléchit un moment et dit :

— Tout s’est fait par la volonté du ciel.

— Votre père ne vous parle jamais du roi ?

— Le roi ? c’est celui pour lequel je prie matin et soir sans le connaître.

Éthel ne comprit pas pourquoi l’étrangère se mordit les lèvres à cette réponse.

— Votre malheureux père ne vous nomme jamais, dans sa colère, ses implacables ennemis, le général Arensdorf, l’évêque Spollyson, le chancelier d’Ahlefeld ?

— J’ignore de qui vous me parlez.

— Et connaissez-vous le nom de Levin de Knud ?

Le souvenir de la scène qui s’était passée la surveille entre le gouverneur