Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/68

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Le secrétaire tourna plusieurs feuillets, et poursuivit :

«… Le très humble exposant croit pouvoir, en récompense de tant de travaux utiles aux sciences et aux belles-lettres, supplier son excellence d’augmenter la taxe de chaque cadavre mâle et femelle de dix ascalins, ce qui ne peut qu’être agréable aux morts en leur prouvant le cas qu’on fait de leurs personnes. »

Ici la porte du cabinet s’ouvrit, et l’huissier annonça à haute voix la noble dame comtesse d’Ahlefeld.

En même temps, une grande dame, portant sur sa tête une petite couronne de comtesse, richement vêtue d’une robe de satin écarlate, bordée d’hermine et de franges d’or, entra, et, acceptant la main que le général lui offrait, vint s’asseoir près de son fauteuil.

La comtesse pouvait avoir cinquante ans. L’âge n’avait, en quelque sorte, rien eu à ajouter aux rides dont les soucis de l’orgueil et de l’ambition avaient depuis si longtemps creusé son visage. Elle attacha sur le vieux gouverneur son regard hautain et son sourire faux.

— Eh bien, seigneur général, votre élève se fait attendre. Il devait être ici avant le coucher du soleil.

— Il y serait, dame comtesse, s’il n’était, en arrivant, allé à Munckholm.

— Comment, à Munckholm ! j’espère que ce n’est pas Schumacker qu’il cherche ?

— Mais cela se pourrait.

— La première visite du baron de Thorvick aura été pour Schumacker !

— Pourquoi non, comtesse ? Schumacker est malheureux.

— Comment, général ! le fils du vice-roi est lié avec ce prisonnier d’état !

— Frédéric Guldenlew, en me chargeant de son fils, me pria, noble dame, de l’élever comme j’eusse élevé le mien. J’ai pensé que la connaissance de Schumacker serait utile à Ordener, qui est destiné à être aussi puissant un jour. J’ai en conséquence, avec l’autorisation du vice-roi, demandé à mon frère Grummond de Knud un droit d’entrée pour toutes les prisons, que j’ai donné à Ordener. — Il en use.

— Et depuis quand, noble général, le baron Ordener a-t-il fait cette utile connaissance ?

— Depuis un peu plus d’un an, dame comtesse ; il paraît que la société de Schumacker lui plut, car elle le fixa assez longtemps à Drontheim ; et ce n’est qu’à regret et sur mon invitation expresse qu’il en partit l’année dernière pour visiter la Norvège.

— Et Schumacker sait-il que son consolateur est le fils d’un de ses plus grands ennemis ?