Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/788

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Hugo, on verra que rien n’a été exagéré dans l’article de la Revue de Paris.

Au moment où l’arrêt de mort fut prononcé, Claude Gueux ne fit pas un mouvement. Mais à la maison de justice il harangua ses compagnons et leur dit qu’il ne se pourvoirait pas en cassation et qu’il ne demanderait pas sa grâce. Il se pourvut cependant en cassation sur la prière instante d’une sœur. Le pourvoi fut rejeté.

Deux mois et demi s’étaient écoulés, on s’étonnait que l’exécution n’eût pas lieu. C’est qu’une demande en grâce avait été adressée au roi. Victor Hugo en a conservé le texte dans un dossier de papiers relatifs à Claude Gueux. Le voici :

Le nommé Gueux (Claude) a été condamné à la peine de mort pour un crime auquel le tourment de la faim l’avait poussé. Sa tendresse pour son père a intéressé en sa faveur tous ceux qui l’ont approché. Malheureusement l’affaire est à sa fin, la cour de cassation et la chancellerie l’ont examinée, et le jugement va être exécuté si le roi n’accorde pas une commutation de peine. Le condamné attend le mot qui doit lui donner la mort ou la vie. La clémence de Sa Majesté, si généralement connue, est implorée par le condamné et par les jurés mêmes[1].

À propos de cette tendresse de Claude Gueux pour son père, Victor Hugo reçut la lettre suivante :

Monsieur,

Une personne qui se prétend bien informée m’annonce que vous avez l’intention de publier un roman historique sur Claude Gueux.

Je pense, monsieur, qu’il est important que vous sachiez que le père Gueux, très âgé, a été condamné à une peine qu’il subissait dans la maison centrale de Clairvaux, et que son fils, pour lui porter secours, a commis avec intention une action dont le résultat l’a conduit dans la prison de son père.

Quand il faisait du soleil, Gueux prenait entre ses bras son vieux père et le portait avec le plus grand soin sous la chaleur du jour.

Je serais heureux que ces faits vous fussent de quelque utilité… Si vous avez besoin des quelques renseignements qui se trouvent au dossier criminel, ce serait pour moi une bien grande satisfaction de vous les procurer.

Je suis, etc.

Millot,
Greffier en chef de la cour d’assises
à Troyes[2].

Victor Hugo n’utilisa pas ces divers documents. Il voulut raconter l’aventure dans toute sa brutalité tragique. Il avait tenu à frapper un coup. Le coup avait porté.

On en jugera par cette lettre, simple et digne, qu’un négociant de Dunkerque adressa au directeur de la Revue de Paris :

Dunkerque, le 30 juillet 1834.
Monsieur le directeur de la Revue de Paris,

Claude Gueux, de Victor Hugo, par vous inséré dans votre livraison du 6 courant, est une grande leçon ; aidez-moi, je vous prie, à la faire profiter.

Rendez-moi, je vous prie, le service d’en faire tirer à mes frais autant d’exemplaires qu’il y a de députés en France, et de les leur adresser individuellement et bien exactement.

J’ai l’honneur de vous saluer.

Charles Carlier,
Négociant.

Nous ne donnerons pas, et pour cause, de Revue de la Critique. Les journaux furent à peu près muets, et la critique trouva sans doute superflu d’attirer l’attention sur cet opuscule déjà trop répandu ; seule la Revue de Paris, qui avait publié Claude Gueux, eut le

  1. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
  2. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.