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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

une œuvre posthume : Post-Scriptum de ma vie, quelques pages de cette préface qu’il intitulait : Choses de l’infini, et que nous rétablissons plus loin.


Si Victor Hugo avait donné à cette préface tous les développements souhaités, il est bien probable que, possédant la matière d’un fort volume, il ne l’aurait pas placée comme un frontispice des Misérables ou même de ses œuvres, mais qu’il l’aurait présentée isolément avec un titre. Car il aborde là tous les problèmes : la formation de la terre, l’évolution des astres, les progrès de la science, l’histoire des religions, la destinée de l’être, l’immortalité de l’âme.


Cette préface marque une date dans l’existence de Victor Hugo. Si le poète s’est toujours passionné pour le problème de la vie, sur ce qu’il pouvait y avoir avant, sur ce qu’il y aura après, s’il a toujours affirmé sa croyance en Dieu et sa foi spiritualiste, c’est cependant dans cette préface de 1860 qu’il exposa avec plus d’ensemble et plus d’ampleur sa doctrine, qu’il combattit avec le plus de vigueur le matérialisme.

Ne dit-il pas dans cette préface : « Admettre l’âme, c’est admettre le lien de l’homme avec l’inconnu » ? De là son jugement sur la peine de mort, qui était « une violence à cet inconnu-là ».

Or sa préface est tout entière inspirée par la passion ardente de pouvoir soulever un coin du voile qui cache le mystère, et c’est vers les phénomènes de la nature qu’il dirigera ses études. « Âme enfouie dans la contemplation des choses célestes », comme il le dit lui-même, il s’attache à considérer le mouvement des astres, les regards fixés sur le monde ténébreux dont il cherche à découvrir les lois. Les ignorants n’hésiteront pas à contester la science de Victor Hugo, les sages s’informeront, les savants considéreront sans doute que c’est de la science écrite par un poète ; mais Victor Hugo lui donne la couleur, l’éclat pittoresque de son style, il envisage les phénomènes avec sa vision spéciale, qui, sans déformer la vérité, leur donne une originalité plus saisissante, et, dans le champ que la science ouvre aux hypothèses, il lui est loisible, sans commettre d’hérésies, d’apporter à son tour les réflexions que lui suggère le spectacle de ces phénomènes. De là des observations ingénieuses que la science ne peut ni confirmer, ni contredire, mais qu’un esprit avisé peut offrir aux méditations des philosophes et des savants.

L’étude de la nature le conduit à l’affirmation de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ; abordant alors sa profession de foi philosophique, il est amené à envisager les diverses religions.

Il les combat avec vivacité, ainsi que les cultes, les théogonies, les fétichismes, les superstitions ; mais il les étudie aussi avec soin. Il consulte les ouvrages, il analyse les textes. Les règles monastiques éveillent sa curiosité. Il fouille les livres de l’hagiographe italien. Jonas, l’historien de saint Colomban, de l’hagiographe allemand Héribert Rosweyde, qui écrivit les vies des Pères (Vitæ Patrum), il compulse les travaux du bénédictin Walafride Strabon et les volumes du prêtre de l’oratoire André Galland : Bibliotheca greco-latina vitarum patrum.

Si on se reporte aux textes de Jonas et de Walafride Strabon que Victor Hugo a cités, on découvrira qu’il a modifié quelques temps de verbe sans d’ailleurs altérer le sens. Nous prendrons un exemple : dans le récit fait par Jonas de certaines austérités Victor Hugo traduit : « Debout tous ! qu’on vienne casser la glèbe… », et comme texte il donne : « Omnes surgant, glebas scindant… » au lieu de : « Imperat ut omnes surgant