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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE

artères de cette masse, imaginez, si vous pouvez, ces chocs de principes moteurs, ces ramifications de forces, ces rencontres d’effluves, cette fermentation inouïe de phénomènes. Formations diluviennes et plutoniques, exfoliées çà et là pas les nappes d’eaux sous-jacentes, couches de roches roulées les unes sur les autres comme les pages d’un palimpseste indéchiffrable, infiltrations souterraines, pénétrations sous-marines, réactions multiples, milieux élastiques ou solides traversés par des courants ou, pour mieux dire, par des torrents magnétiques, avec des grossissements d’effets impossibles à concevoir, hautes températures enfouies dans les blocs, pressions effroyables, expansions ténébreuses, explosions, alluvions, stratifications, minéralisations, cristallisations, végétations, putréfactions, transformations ; officine d’oxydes et d’acides ; production de fluides, production de sèves, production de germes ; nourriture aux nuées, nourriture aux racines ; fleurs, fruits, philtres, simples ; distribution des parfums, des saveurs, des poisons, des vertus ; pharmacie mystérieuse ; enfantement simultané des formes et des réalités les plus diverses depuis le diamant jusqu’au colibri, depuis le lys bleu des sources d’Iran jusqu’aux rochers de soufre pur de l’Islande où viennent se percher le courlis et le ptermigan.

De toutes ces forces convergentes à un but unique résulte une vie communiquée à tous les êtres avec une puissance qui crée, particulièrement dans l’ordre végétal, des longévités extraordinaires. Le tilleul de Morat a quatre cents ans, le-chêne d’Ellerslie a six cents ans, le cèdre de la casbah d’Alger a vu Nariaden Barberousse, le Conqueror oak de Windsor a vu Guillaume le Conquérant, les deux chênes de la Miltière, près Romorantin, ont vu Charlemagne, le châtaignier de l’Etna a vu Trajan, les cyprès de Soma ont vu César ; les oliviers de Gethsémani sont âgés de dix-neuf cents ans ; ils ont, vu Jésus-Christ la veille de son supplice ; l’arbre Bo, d’Anaradjapoura, a vu Gotama Bouddha la veille de son apothéose, cet arbre a deux mille cent cinquante ans ; les trois arbres du fleuve des Amazones, constatés en 1816 par Spix et Martius, ont cinq mille ans. La végétation, cette résultante de la force terrestre, communique à certains de ses produits une durée qui résiste même au tarissement de la sève, c’est-à-dire à la mort. Les portes de l’ancien Saint-Pierre de Rome étaient en bois de cyprès ; lorsqu’on les a brûlées, elles existaient depuis onze siècles.

Quant aux races à peu près humaines que cette force vitale a produites et qui ont habité ce globe concurremment avec l’homme, les vestiges ont beau être étranges, ils sont incontestables, depuis Palenquè, la ville des nains, dans le Nouveau-Monde, jusqu’à Réphaïm, la ville des géants, dans le Vieux Continent.

Palenquè, minée par les eaux stagnantes, appropriée par l’écroulement