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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

d’Ulm, le grand menuisier gothique Georges Syrlin, Pietagoras musice inventor, Pythagore assigne entre le soleil et la lune et entre le soleil et Saturne des intervalles musicaux d’une quarte, et précise le son de la lune qui est, dit-il, le plus aigu, et le son de Saturne, qui est, dit-il, le plus grave. D’autres osent être plus formels encore. Pour eux, le ciel est une lyre, le système solaire, c’est la gamme, le soleil donne l’ut, Mars donne le ré, Jupiter le mi, Saturne le fa, la lune le sol, Vénus le la, Mercure le si ; comme on le voit, la gamme, partie du soleil, s’enfonce par Mars et Jupiter jusqu’à Saturne et revient par la lune, Mercure et Vénus, au soleil. Ils entendent cela ; ils affirment cela. Quels sont ces fous ? Ils sont deux. Le premier s’appelle Nicomaque, le deuxième se nomme Cicéron.

Ce qui égare les sages égare aussi les peuples, et plus encore.

Une foule de phénomènes, même terrestres, même de ceux que nous pouvons, en quelque sorte, toucher avec la main, restent inexpliqués. De là des fétichismes et des idolâtries.

Les grands esprits ne se rendent qu’au grand Tout, et beaucoup d’entre eux résisteraient s’ils n’étaient pas accablés par l’ensemble des prodiges. Ces héros de la libre pensée sont, on peut le dire, vaincus par le nombre. Ils cèdent à la convergence des sublimités. Toute la nature converge à Dieu ; il leur faut cela pour s’incliner. La faible imagination de certains peuples primitifs n’est pas si exigeante. Le premier phénomène local venu sert de prétexte à un dogme. Veut-on des exemples ?

Il y a, en Afrique, deux vents : le samyel de l’Arabie Pétrée ; l’harmatan de la côte de Guinée.

On entend un sifflement, les voyageurs se jettent à terre, la face dans la poussière ; les chevaux cachent leur tête entre leurs jambes, une sorte de feu passe dans l’air en pétillant, qui respire meurt ; cela dure un quart d’heure ; si l’on touche ensuite à ceux qui sont morts, on les trouve pourris, leur chair se détache et tombe ; ce n’est pas du vent qui a soufflé, c’est de la gangrène. Cette chose redoutable s’appelle le samyel. Quant à l’harmatan, il arrive dans un brouillard, on ne distingue plus rien, c’est la nuit ; les feuilles tombent, les plantes agonisent, l’homme a soif, le nez enfle, les lèvres se gercent, les yeux pleurent, l’épiderme s’exfolie, et, quoique l’air soit chaud, on a froid ; mais ici commence l’inexplicable, les malades se dressent sur leur séant et respirent, les fièvres, les petites véroles, les dysenteries s’arrêtent court ; l’inoculation devient inutile, la peste s’éteint, les épidémies s’évanouissent, toute la contrée est assainie. Ce vent qui a passé, c’est de la guérison.

Naturellement, l’harmatan et le samyel ont des prêtres ; une religion est née de cet Ormus et de cet Arimane des vents.