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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

tion. La communication entre les créations est maintenue gar ce moi qui, à travers le crible du cimetière, va d’une sphère à l’autre. Ôter l’âme de l’homme, qui sait si ce ne serait pas supprimer la solidarité des mondes ?

Supprimer la solidarité dans l’absolu, ce serait lui enlever toute raison d’être dans le relatif. Par conséquent, au point de vue de la spéculation pure, plus de démocratie.

La religion de l’Humanité ne serait autre chose que l’individualisme de la terre. Résultat effrayant.


[III]

Ici surgit une objection ancienne, mais qu’il faut rappeler :

— Quoi ? cette âme, postérieure, et par conséquent antérieure, à l’homme, irait ainsi d’une existence à l’autre sans en garder mémoire ? Un tel voyageur n’aurait pas le souvenir de ses voyages ? Un tel moi oublierait ?

Qui vous dit qu’il oublie ?

Et d’abord entendons-nous sur le moi.

Prenons un exemple dans la réalité palpable. Le monde visible est la manifestation symbolique du monde immatériel. Il nous éclaire par analogie.

Regardez la plante : elle a deux modes de vivre ; la fleur a un moi périssable, la racine a un moi persistant. Peut-être sommes-nous ainsi, et avons-nous aussi quelque part un moi latent, source et foyer de nos existences successives, racine de nos épanouissements alternatifs, âme centrale qu’après chacune de nos morts nous retrouvons dans les profondeurs de l’infini. C’est là, s’il y a quelque fondement à cette hypothèse, c’est là que gît et que nous attend la conscience collective de toutes nos vies distinctes, et l’unité réelle de notre moi.

La vie antérieure et la vie postérieure sont entrevues par Cicéron. A parte ante a parte post, dit-il.

Qu’au seuil du sépulcre, l’obscurité de l’infini commence, d’accord ; que ce soit là l’Inconnu, sans doute ; mais qu’il y ait dans cet Inconnu la continuation de l’homme, qu’il y ait dans la mort l’immortalité, voilà ce que le raisonnement indique, voilà ce que l’intuition affirme.

Ici l’on m’interrompt.