Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/193

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mêlés, cette guerre-là ne serait pas ce qu’elle est. Le vicomte est un bon et brave jeune homme. Mais le vieux est un effroyable marquis. Les paysans appellent ça la guerre de saint Michel contre Belzébuth. Vous savez peut-être que saint Michel est un ange du pays. Il a une montagne à lui au milieu de la mer dans la baie. Il passe pour avoir fait tomber le démon et pour l’avoir enterré sous une autre montagne qui est près d’ici, et qu’on appelle Tombelaine.

— Oui, murmura le cavalier, Tumba Beleni, la tombe de Belenus, de Belus, de Bel, de Bélial, de Belzébuth.

— Je vois que vous êtes informé.

Et l’hôte se dit en aparté :

— Décidément, il sait le latin, c’est un prêtre.

Puis il reprit :

— Eh bien, citoyen, pour les paysans, c’est cette guerre-là qui recommence. Il va sans dire que pour eux saint Michel, c’est le général royaliste, et Belzébuth, c’est le commandant patriote ; mais s’il y a un diable, c’est bien Lantenac, et s’il y a un ange, c’est Gauvain. Vous ne prenez rien, citoyen ?

— J’ai ma gourde et un morceau de pain. Mais vous ne me dites pas ce qui se passe à Dol.

— Voici. Gauvain commande la colonne d’expédition de la côte. Le but de Lantenac était d’insurger tout, d’appuyer la Basse-Bretagne sur la Basse-Normandie, d’ouvrir la porte à Pitt, et de donner un coup d’épaule à la grande armée vendéenne avec vingt mille anglais et deux cent mille paysans. Gauvain a coupé court à ce plan. Il tient la côte, et il repousse Lantenac dans l’intérieur et les anglais dans la mer. Lantenac était ici, et il l’en a délogé ; il lui a repris Pont-au-Beau ; il l’a chassé d’Avranches, il l’a chassé de Villedieu ; il l’a empêché d’arriver à Granville. Il manœuvre pour le refouler dans la forêt de Fougères, et l’y cerner. Tout allait bien. Hier Gauvain était ici avec sa colonne. Tout à coup, alerte. Le vieux, qui est habile, a fait une pointe ; on apprend qu’il a marché sur Dol. S’il prend Dol, et s’il établit sur le Mont-Dol une batterie, car il a du canon, voilà un point de la côte où les anglais peuvent aborder, et tout est perdu. C’est pourquoi, comme il n’y avait pas une minute à perdre, Gauvain, qui est un homme de tête, n’a pris conseil que de lui-même, n’a pas demandé d’ordre et n’en a pas attendu, a sonné le boute-selle, attelé son artillerie, ramassé sa troupe, tiré son sabre, et voilà comment, pendant que Lantenac se jette sur Dol, Gauvain se jette sur Lantenac. C’est à Dol que ces deux fronts bretons vont se cogner. Ce sera un fier choc. Ils y sont maintenant.

— Combien de temps faut-il pour aller à Dol ?