Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/410

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On y voyait des femmes. L’histoire se souvient des terribles ; Mercier les appelle tricoteuses et pourvoyeuses de guillotine. Elles assistaient à la Convention comme les Euménides assistaient à l’Olympe. Mais en regard des farouches, il y avait les charmantes. Tous ces hommes aimaient. Vergniaud aimait mademoiselle Candeille, la Belle Fermière, qui venait l’entendre et le voir. Buzot aimait madame Roland qu’on apercevait quelquefois dans une pénombre, voilée ; Tallien aimait Thérésa Cabarrus ; Hérault de Séchelles aimait une jeune femme qu’il avait ramenée de sa mission de Savoie et dont il a emporté le nom dans le tombeau ; outre mademoiselle Candeille, une jeune fille venait pour Vergniaud, celle à laquelle, le jour de sa mort, il envoya sa montre où il avait gravé avec une épingle la date : 16 octobre. Dans les tribunes étaient venues les deux maîtresses de Dumouriez, celle de Bretagne, madame de Beauvert, et celle de Belgique, « la jeune Crumpipen », comme l’appelait Duhem. Lodoïska venait pour Louvet, la marquise de Montendre pour Fayau, madame de Thorin pour Saint-Just, Élisabeth Duplay pour Le Bas, Lucile Desmoulins pour son mari, madame de Sainte-Amaranthe, Catherine Théos, madame Amblard et la marquise de Chalabre pour Robespierre ; et, dès qu’elles avaient pris place, Gorsas fredonnait le couplet de Girey-Dupré :

Suivi de ses dévotes,
De sa cour entouré,
Le roi des sans-culottes,
Robespierre est entré.

chanson qui fit tomber la tête de celui qui l’avait faite et de celui qui l’avait chantée. La marquise de Laubespin venait pour Marat, ce qui n’empêchait pas Marat de dire en regardant la loge où étaient ces femmes : Tas de concubines !

Ces belles n’avaient pas de cheveux ; elles les coupaient pour s’en faire des perruques. C’était la mode : Suzanne de Saint-Fargeau, en épousant le riche hollandais de Witt, reçut en cadeau de noces douze perruques. Madame Dufresnoy fut célèbre quelques mois pour sa pièce Armand ou le bienfait des perruques. Ces bizarreries étaient la mode.

Ces têtes curieuses, ces visages émus, ces faces inquiètes, épiaient, scrutaient, sondaient l’assemblée. Tous ces yeux fouillaient toutes ces consciences.

On considérait, au banc du pouvoir exécutif, Tondu Lebrun, ministre des affaires étrangères, Monge, qui, plus tard, installa au Capitole la république romaine, Pache, qui avait un désaccord inquiétant entre le regard et le sourire, Garat, qui, le chapeau sur la tête, avait lu l’arrêt de mort à Louis xvi comme Bradshaw à Charles ier, avec cette différence qu’ensuite Bradshaw mourut proscrit et Garat sénateur. On tendait l’oreille et l’on entendait le philosophe Garat chuchoter : Les hommes et les grandes assemblées ne sont pas faits de façon que d’un côté il n’y ait que des dieux et de l’autre que des diables. On entendait Marat crier : Femme Roland, rendez compte des deniers du peuple que vous avez dilapidés !

On regardait, aux deux extrémités de la haine et de la colère, ces deux figures féminines aux yeux bleus, Louvet et Saint-Just ; Louvet criant : Hommes de la montage, vous périrez ! Saint-Just disant : Je prête serment à l’avenir. On regardait circuler de