Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/441

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Si taciturne qu’il paraissait muet.

Pas de question possible à cet homme. Son silence semblait vous barrer le passage et arrêtait court l’envie de lui parler. Du reste, sa bouche était amèrement crispée, comme quand les lèvres ont bu trop de larmes, son œil était cave, son regard triste, sa joue ravinée, son front sombre ; de sorte qu’au-dessus de ce silence, obstacle à la curiosité, on apercevait on ne sait quels sommets de tristesse qui révélaient le désespéré de même que des hauts de tombe au-dessus d’un mur révèlent un cimetière.


C’était une trop blonde fille plus que blanche, ayant un excès de lymphe. Elle était un peu cron, comme on dit en Belgique. Sous sa toilette chargée et sous ses falbalas extravagants à dessein, on la devinait torse et mal faite.


… Il était fort souterrain, grand allumeur de petits feux secrets, et profond intrigant. Mais rien n’en transpirait au dehors. Toute intrigue est une solfatare, mais il ne laissait rien sortir des fissures. Il avait dans les affaires une prudence fumivore.


C’était un espion de salons, il y a de ces êtres, homme d’esprit et de peu, point né, reçu, miel et fiel, saluant, glissant, chuchotant, souriant bas, chauve et laid, ennemi secret, prenant de petites notes traîtres. Un Tallemant des Réaux de Carpentras. Le grand théâtre lui manquait, non la grande haine. Ses griffonnages, qu’il appelait ses Mémoires, se sont perdus chez quelque épicier, et se sont envolés en sacs et en cornets ; c’est un malheur ; ils eussent fortement éclairé la postérité sur le grand monde de Guingamp[1].


À ce dernier portrait se rattachent ces deux fragments, dont le premier, par le timbre de la poste, est daté janvier 63 :

Je hais le travail, s’écria l’académicien de Guingamp, pour toutes les raisons. Le travail salit les mains. Vexatæ duræque manus. Et puis à cause des femmes. Qui travaille n’a pas le temps d’aimer. Il faut être de loisir pour être amoureux. La sueur est ennemie du sourire. Le loisir perdu brise l’arc de Cupidon.

Otia si tollas, periere Cupidinis arcus.

— C’est que nous autres académiciens, nous sommes ferrés.

— Aux quatre pieds, dit le duc.


  1. Verso adresse timbrée : 4 février 63. (Note de l’éditeur.)