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NOTES DE L’ÉDITEUR.

sur la date du 15, lorsque de nouvelles difficultés surgirent et furent immédiatement rapportées par Mme Victor Hugo à son mari :


Lundi, 11 mai 1862.

Je vois presque tous les jours Meurice, qui de chez Pagnerre vient ici pour causer avec Auguste[1] des Misérables. Lacroix les tracasse beaucoup. Il a pour idée de servir les marchés étrangers avant la France. Après s’être arrangé pour paraître le 10 de ce mois, il a écrit qu’il n’était pas prêt et qu’il demandait qu’on reculât jusqu’au 16. Auguste lui a accordé jusqu’au 16. Depuis il a inventé de mettre une feuille de moins dans un envoi (la feuille 19, je crois). On a réclamé, la feuille a été renvoyée, mais Lacroix a prié en même temps qu’on ajournât jusqu’au 20, toujours par cette raison qu’il n’était pas en mesure de paraître à Bruxelles. — On a écrit : « non ». Hier Pagnerre a reçu une lettre de Lacroix qui prétend qu’une de ses presses est cassée, qu’il est fort malheureux du retard occasionné par l’accident qui doit reculer d’autant la mise en vente de Paris.

Pagnerre, tout bouleversé, a montré la lettre à Meurice, qui immédiatement a écrit une lettre sévère à Lacroix. Il lui explique qu’il doit y avoir à Bruxelles des presses en dehors des siennes, dont il peut disposer ; que Claye, à court de presses aussi, pour tenir ses engagements, s’est adressé à des confrères ; que d’ailleurs il n’a pas à diriger la publication de Bruxelles, qu’il répond dans la mesure de ses efforts et de son zèle du succès des Misérables à Paris, à la condition que Lacroix n’y mettra pas d’obstacle, mais que s’il doit être ainsi gêné, il se refuse d’accepter cette responsabilité. La réalité c’est qu’il serait très mauvais de reculer la nouvelle apparition des Misérables. L’intérêt, vif encore, pourrait se refroidir. Samedi, qui était le 10, les libraires ont été assaillis de demandes et beaucoup d’acheteurs ont été mécontents du retard. On quitte de plus Paris. Le court ajournement du reste, n’étant pas dépassé, a peu d’inconvénients. La circulaire de Pagnerre qui annonce l’apparition de la seconde partie pour le 14 est distribuée. Hier Auguste et Meurice sont venus causer chez moi, se sont entendus et ont choisi les extraits qu’ils vont porter aujourd’hui aux journaux, ce qui leur prendra la journée.

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La seconde partie des Misérables est toujours pour jeudi. Pagnerre m’a engagée à aller dans sa boutique mercredi matin.


Lacroix pouvait d’autant plus insister sur les mesures de précaution à prendre contre les contrefacteurs que Victor Hugo n’avait toujours pas envoyé la procuration réclamée. En vain lui avait-il écrit :


Vous devez désirer qu’on ne vous vole pas impunément votre pensée, votre œuvre… En effet, il nous suffirait de votre contrat pour poursuivre ; seulement il n’y a intérêt à sa production en public, à son enregistrement ni pour vous, ni pour nous. Ce seraient des frais énormes, de l’argent jeté.


Là-dessus, Victor Hugo s’était plaint que Lacroix voulût le contraindre à frauder le fisc et à obtenir sa complicité pour éluder les frais d’enregistrement du contrat par la dissimulation du prix de vente.

Lacroix montrait qu’il n’y avait nulle violation de la loi, un acte n’ayant pas besoin de mentionner le prix de la cession possible pour être valable.

Lacroix invoque enfin un argument décisif dans sa lettre du 11 mai :


Autre chose plus grave pour vos intérêts et qui vous montrera, cher maître, que la procuration que je vous demandais directement et en due forme aurait été bien utile et, loin de vous nuire, vous eût servi. — Nous venons de recevoir une dépêche télégraphique de Milan que confirme une lettre. Voici de quoi il s’agit : on annonce à Milan la représentation au théâtre d’un drame tiré des Misérables, ou plutôt on tire un drame de chaque partie du roman, et cela va faire le tour des villes d’Italie. Votre œuvre sera donc jouée sur la scène partout, et je crains que l’exemple ne soit suivi dans d’autres pays et qu’ainsi vous ne veniez à perdre une partie des droits d’auteur qui vous fussent revenus

  1. Auguste Vacquerie.