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L'HOMME QUI RIT

III

la duchesse josiane


I

Vers 1705, bien que lady Josiane eût vingt-trois ans et lord David quarante-quatre, le mariage n’avait pas encore eu lieu, et cela par les meilleures raisons du monde. Se haïssaient-ils ? loin de là. Mais ce qui ne peut vous échapper n’inspire aucune hâte. Josiane voulait rester libre ; David voulait rester jeune. N’avoir de lien que le plus tard possible, cela lui semblait un prolongement du bel âge. Les jeunes hommes retardataires abondaient dans ces époques galantes ; on grisonnait dameret ; la perruque était complice, plus tard la poudre fut auxiliaire. À cinquante-cinq ans, lord Charles Gerrard, baron Gerrard des Gerrards de Bromley, remplissait Londres de ses bonnes fortunes. La jolie et jeune duchesse de Buckingham, comtesse de Coventry, faisait des folies d’amour pour les soixante-sept ans du beau Thomas Bellasyse, vicomte Falcomberg. On citait les vers fameux de Corneille septuagénaire à une femme de vingt ans : Marquise, si mon visage. Les femmes aussi avaient des succès d’automne, témoin Ninon et Marion. Tels étaient les modèles.

Josiane et David étaient en coquetterie avec une nuance particulière. Ils ne s’aimaient pas, ils se plaisaient. Se côtoyer leur suffisait. Pourquoi se dépêcher d’en finir ? Les romans d’alors poussaient les amoureux et les fiancés à ce genre de stage qui était du plus bel air. Josiane, en outre, se sachant bâtarde, se sentait princesse et le prenait de haut avec les arrangements quelconques. Elle avait du goût pour lord David. Lord David était beau, mais c’était par-dessus le marché. Elle le trouvait élégant.

Être élégant, c’est tout. Caliban élégant et magnifique distance Ariel pauvre. Lord David était beau, tant mieux ; l’écueil d’être beau, c’est d’être fade ; il ne l’était pas. Il pariait, boxait, s’endettait. Josiane faisait grand cas de ses chevaux, de ses chiens, de ses pertes au jeu, de ses maîtresses. Lord David de son côté subissait la fascination de la duchesse Josiane, fille sans tache et sans scrupule, altière, inaccessible et hardie. Il lui adressait des sonnets que Josiane lisait quelquefois. Dans ces sonnets, il affirmait que posséder Josiane, ce serait monter jusqu’aux astres, ce qui ne l’empêchait pas de toujours remettre cette ascension à l’an prochain. Il faisait antichambre à la