Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
LA POINTE NORD DE PORTLAND.

la pêche de ce faux corail gris que les gallois appelaient plin et les grecs isidis plocamos.

L’enfant s’orientait du mieux qu’il pouvait. Toute la destinée est un carrefour, le choix des directions est redoutable, ce petit être avait de bonne heure l’option entre les chances obscures. Il avançait cependant ; mais, quoique ses jarrets semblassent d’acier, il commençait à se fatiguer. Pas de sentiers dans cette plaine ; s’il y en avait, la neige les avait effacés. D’instinct, il continuait à dévier vers l’est. Des pierres tranchantes lui avaient écorché les talons. S’il eût fait jour, on eût pu voir, dans les traces qu’il laissait sur la neige, des taches roses qui étaient son sang.

Il ne reconnaissait rien. Il traversait le plateau de Portland du sud au nord, et il est probable que la bande avec laquelle il était venu, évitant les rencontres, l’avait traversé de l’ouest à l’est. Elle était vraisemblablement partie, dans quelque barque de pêcheur ou de contrebandier, d’un point quelconque de la côte d’Uggescombe, tel que Sainte-Catherine Chap, ou Swancry, pour aller à Portland retrouver l’ourque qui l’attendait, et elle avait dû débarquer dans une des anses de Weston pour aller se rembarquer dans une des criques d’Eston. Cette direction-là était coupée en croix par celle que suivait maintenant l’enfant. Il était impossible qu’il reconnût son chemin.

Le plateau de Pordand a çà et là de hautes ampoules ruinées brusquement par la côte et coupées à pic sur la mer. L’enfant errant arriva sur un de ces points culminants, et s’y arrêta, espérant trouver plus d’indications dans plus d’espace, cherchant à voir. Il avait devant lui, pour tout horizon, une vaste opacité livide. Il l’examina avec attention, et, sous la fixité de son regard, elle devint moins indistincte. Au fond d’un lointain pli de terrain, vers l’est, au bas de cette lividité opaque, sorte d’escarpement mouvant et blême qui ressemblait à une falaise de la nuit, rampaient et flottaient de vagues lambeaux noirs, espèces d’arrachements diffus. Cette opacité blafarde, c’était du brouillard, ces lambeaux noirs, c’étaient des fumées. Où il y a des fumées, il y a des hommes. L’enfant se dirigea de ce côté.

Il entrevoyait à quelque distance une descente, et au pied de la descente, parmi des configurations informes de rochers que la brume estompait, une apparence de banc de sable ou de langue de terre reliant probablement aux plaines de l’horizon le plateau qu’il venait de traverser. Il fallait évidemment passer par là.

Il était arrivé en effet à l’isthme de Portland, alluvion diluvienne qu’on appelle Chess-Hill.

Il s’engagea sur ce versant du plateau.