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L'HOMME QUI RIT

La pente était difficile et rude. C’était, avec moins d’âpreté pourtant, le revers de l’ascension qu’il avait faite pour sortir de la crique. Toute montée se solde par une descente. Après avoir grimpé, il dégringolait.

Il sautait d’un rocher à l’autre, au risque d’une entorse, au risque d’un écroulement dans la profondeur indistincte. Pour se retenir dans les glissements de la roche et de la glace, il prenait à poignées les longues lanières des landes et des ajoncs pleins d’épines, et toutes ces pointes lui entraient dans les doigts. Par instants, il trouvait un peu de rampe douce, et descendait en reprenant haleine, puis l’escarpement se refaisait, et pour chaque pas il fallait un expédient. Dans les descentes de précipice, chaque mouvement est la solution d’un problème. Il faut être adroit sous peine de mort. Ces problèmes, l’enfant les résolvait avec un instinct dont un singe eût pris note et une science qu’un saltimbanque eût admirée. La descente était abrupte et longue. Il en venait à bout néanmoins.

Peu à peu, il approchait de l’instant où il prendrait terre sur l’isthme entrevu.

Par intervalles, tout en bondissant ou en dévalant de rocher en rocher, il prêtait l’oreille, avec un dressement de daim attentif. Il écoutait au loin, à sa gauche, un bruit vaste et faible, pareil à un profond chant de clairon. Il y avait dans l’air en effet un remuement de souffles précédant cet effrayant vent boréal, qu’on entend venir du pôle comme une arrivée de trompettes. En même temps, l’enfant sentait par moments sur son front, sur ses yeux, sur ses joues, quelque chose qui ressemblait à des paumes de mains froides se posant sur son visage. C’étaient de larges flocons glacés, ensemencés d’abord mollement dans l’espace, puis tourbillonnant, et annonçant l’orage de neige. L’enfant en était couvert. L’orage de neige qui, depuis plus d’une heure déjà, était sur la mer, commençait à gagner la terre. Il envahissait lentement les plaines. Il entrait obliquement par le nord-ouest dans le plateau de Portland.