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L'HOMME QUI RIT

— As-tu fait la contre-épreuve du sablier par la vibration d’une balle de mousquet suspendue…
— À un fil plat tiré de dessus le chanvre roui ? Sans doute.
— As-tu ciré le fil de peur qu’il ne s’allonge ?
— Oui.
— As-tu fait la contre-épreuve du loch ?
— J’ai fait la contre-épreuve du sablier par la balle du mousquet et la contre-épreuve du loch par le boulet de canon.
— Quel diamètre a ton boulet ?
— Un pied.
— Bonne lourdeur.
— C’est un ancien boulet de notre vieille ourque de guerre, la Caße de Par-grand
— Qui était de l’armada ?
— Oui.
— Et qui portait six cents soldats, cinquante matelots et vingt-cinq canons ?
— Le naufrage le sait.
— Comment as-tu pesé le choc de l’eau contre le boulet ?
— Au moyen d’un peson d’Allemagne.
— As-tu tenu compte de l’impulsion du flot contre la corde portant le boulet ?
— Oui.
— Quel est le résultat ?
— Le choc de l’eau a été de cent soixante-dix livres.
— C’est-à-dire que le navire fait à l’heure quatre lieues de France.
— Et trois de Hollande.
— Mais c’est seulement le surplus de la vitesse du sillage sur la vitesse de la mer.
— Sans doute.
— Où te diriges-tu ?
— À une anse que je connais entre Loyola et Saint-Sébastien.
— Mets-toi vite sur le parallèle du lieu de l’arrivée.
— Oui. Le moins d’écart possible.
— Méfie-toi des vents et des courants. Les premiers excitent les seconds.
— Traidores[1].
— Pas de mots injurieux. La mer entend. N’insulte rien. Contente-toi d’observer.
  1. Traîtres