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AVANT L’EXIL. — ACADÉMIE FRANÇAISE.

n’en doutons pas, aura un terme ; il nous reviendra. Confions-nous à Dieu, qui tient dans sa main nos intelligences et nos destinées, mais qui ne crée pas de pareils hommes pour qu’ils laissent leur tâche inachevée. Homme excellent et cher ! il partageait sa vie noble et sérieuse entre les plus hautes affaires et les soins les plus touchants. Il avait l’âme aussi inépuisable que l’esprit. Son éloge, on pourrait le faire avec un mot. Le jour où cela fut nécessaire, il se trouva que dans ce grand lettré, dans cet homme public, dans cet orateur, dans ce ministre, il y avait une mère !

Au milieu de ces regrets unanimes qui se tournent vers lui, je sens plus vivement que jamais toute sa valeur et toute mon insuffisance. Que ne me remplace-t-il à cette heure ! S’il avait pu être donné à l’académie, s’il avait pu être donné à cet auditoire si illustre et si charmant qui m’environne, de l’entendre en cette occasion parler de la place où je suis, avec quelle sûreté de goût, avec quelle élévation de langage, avec quelle autorité de bon sens il aurait su apprécier vos mérites, monsieur, et rendre hommage au talent de M. Campenon !

M. Campenon, en effet, avait une de ces natures d’esprit qui réclament le coup d’œil du critique le plus exercé et le plus délicat. Ce travail d’analyse intelligente et attentive, vous me l’avez rendu facile, monsieur, en le faisant vous-même, et, après votre excellent discours, il me reste peu de chose à dire de l’auteur de l’Enfant prodigue et de la Maison des champs. Étudier M. Campenon comme je l’ai fait, c’est l’aimer ; l’expliquer comme vous l’avez fait, c’est le faire aimer. Pour le bien lire, il faut le bien connaître. Chez lui, comme dans toutes les natures franches et sincères, l’écrivain dérive du philosophe, le poëte dérive de l’homme, simplement, aisément, sans déviation, sans effort. De son caractère on peut conclure sa poésie, et de sa vie ses poëmes. Ses ouvrages sont tout ce qu’est son esprit. Il était doux, facile, calme, bienveillant, plein de grâce dans sa personne et d’aménité dans sa parole, indulgent à tout homme, résigné à toute chose ; il aimait la famille, la maison, le foyer domestiqué, le toit paternel ; il aimait la retraite, les livres, le loisir comme un poëte, l’intimité comme un sage ; il aimait les champs,