Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

bonté la raison d’état. Si nous persistons, oh ! alors ils se fâchent, ils nous déclarent que nous n’entendons rien aux affaires, que nous n’avons pas le sens politique, que nous ne sommes pas des hommes sérieux, et… comment vous dirai-je cela ? ma foi ! ils nous disent un gros mot, la plus grosse injure qu’ils puissent trouver, ils nous appellent poètes ! (On rit.)

Ils nous affirment que tout ce que nous croyons trouver dans notre conscience, la foi au progrès, l’adoucissement des lois et des mœurs, l’acceptation des principes dégagés par les révolutions, l’amour du peuple, le dévouement à la liberté, le fanatisme de la grandeur nationale, que tout cela, bon en soi sans doute, mène, dans l’application, droit aux déceptions et aux chimères, et que, sur toutes ces choses, il faut s’en rapporter, selon l’occasion et la conjoncture, à ce que conseille la raison d’état. La raison d’état ! ah ! c’est là le grand mot ! et tout à l’heure je le distinguais au milieu d’une interruption.

Messieurs, j’examine la raison d’état, je me rappelle tous les mauvais conseils qu’elle a déjà donnés. J’ouvre l’histoire, je vois dans tous les temps toutes les bassesses, toutes les indignités, toutes les turpitudes, toutes les lâchetés, toutes les cruautés que la raison d’état a autorisées ou qu’elle a faites. Marat l’invoquait aussi bien que Louis XI ; elle a fait le deux septembre après avoir fait la Saint-Barthélemy ; elle a laissé sa trace dans les Cévennes, et elle l’a laissée à Sinnamari ; c’est elle qui a dressé les guillotines de Robespierre, et c’est elle qui dresse les potences de Haynau ! (Mouvement.)

Ah ! mon cœur se soulève ! Ah ! je ne veux, je ne veux, moi, ni de la politique de la guillotine, ni de la politique de la potence, ni de Marat, ni de Haynau, ni de votre loi de déportation ! (Bravos prolongés.) Et quoi qu’on fasse, quoi qu’il arrive, toutes les fois qu’il s’agira de chercher une inspiration ou un conseil, je suis de ceux qui n’hésiteront jamais entre cette vierge qu’on appelle la conscience et cette prostituée qu’on appelle la raison d’état. (Immense acclamation à gauche.)

Je ne suis qu’un poëte, je le vois bien !

Messieurs, s’il était possible, ce qu’à Dieu ne plaise, ce que j’éloigne pour ma part de toutes mes forces, s’il était