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LE SUFFRAGE UNIVERSEL.

situation. Avant de descendre de cette tribune, permettez-moi de caractériser la loi.

Cette loi, comme brandon révolutionnaire, les hommes du progrès pourraient la redouter ; comme moyen électoral, ils la dédaignent.

Ce n’est pas qu’elle soit mal faite, au contraire. Tout inefficace qu’elle est et qu’elle sera, c’est une loi savante, c’est une loi construite dans toutes les règles de l’art. Je lui rends justice. (On rit.)

Tenez, voyez, chaque détail est une habileté. Passons, s’il vous plaît, cette revue instructive. (Nouveaux rires. — Très bien !)

À la simple résidence décrétée par la constituante, elle substitue sournoisement le domicile. Au lieu de six mois, elle écrit trois ans, et elle dit : C’est la même chose. (Dénégations à droite.) À la place du principe de la permanence des listes, nécessaire à la sincérité de l’élection, elle met, sans avoir l’air d’y toucher (on rit), le principe de la permanence du domicile, attentatoire au droit de l’électeur. Sans en dire un mot, elle biffe l’article 104 du code civil, qui n’exige pour la constatation du domicile qu’une simple déclaration, et elle remplace cet article 104 par le cens indirectement rétabli, et, à défaut du cens, par une sorte d’assujettissement électoral mal déguisé de l’ouvrier au patron, du serviteur au maître, du fils au père. Elle crée ainsi, imprudence mêlée à tant d’habiletés, une sourde guerre entre le patron et l’ouvrier, entre le domestique et le maître, et, chose coupable, entre le père et le fils. (Mouvement. — C’est vrai ! )

Ce droit de suffrage, qui, je crois l’avoir démontré, fait partie de l’entité du citoyen, ce droit de suffrage sans lequel le citoyen n’est pas, ce droit qui fait plus que le suivre, qui s’incorpore à lui, qui respire dans sa poitrine, qui coule dans ses veines avec son sang, qui va, vient et se meut avec lui, qui est libre avec lui, qui naît avec lui pour ne mourir qu’avec lui, ce droit imperdable, essentiel, personnel, vivant, sacré (on rit à droite), ce droit, qui est le souffle, la chair et l’âme d’un homme, votre loi le prend à l’homme et le transporte à quoi ? À la chose inanimée, au logis, au tas de pierres, au numéro de la maison ! Elle attache