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LA PEINE DE MORT.

Mon regret est profond de ne pouvoir répondre en temps utile à votre noble et touchant appel. J’eusse été heureux que mon applaudissement arrivât au peuple de Milan faisant un grand acte.

L’inviolabilité de la vie humaine est le droit des droits. Tous les principes découlent de celui-là. Il est la racine, ils sont les rameaux. L’échafaud est un crime permanent. C’est le plus insolent des outrages à la dignité humaine, à la civilisation, au progrès. Toutes les fois que l’échafaud est dressé, nous recevons un soufflet. Ce crime est commis en notre nom.

L’Italie a été la mère des grands hommes, et elle est la mère des grands exemples. Elle va, je n’en doute pas, abroger la peine de mort. Votre commission, composée de tant d’hommes distingués et généreux, réussira. Avant peu, nous verrons cet admirable spectacle : l’Italie, avec l’échafaud de moins et Rome et Venise de plus.

Je serre vos mains dans les miennes, et je suis votre ami.

Victor Hugo.

À la lettre venue d’Angleterre, Victor Hugo a répondu :

À M. LILLY, 9, SAINT-PETER’S TERRACE, NOTTING-HILL, LONDRES.
Hauteville-House, 12 février 1865.

Monsieur, — Vous me faites l’honneur de vous tourner vers moi, je vous en remercie.

Un échafaud va se dresser ; vous m’en avertissez. Vous me croyez la puissance de renverser cet échafaud. Hélas ! je ne l’ai pas. Je n’ai pu sauver Tapner, je ne pourrais sauver Polioni. À qui m’adresser ? Au gouvernement ? au peuple ? Pour le peuple anglais je suis un étranger, et pour le gouvernement anglais un proscrit. Moins que rien, vous le voyez. Je suis pour l’Angleterre une voix quelconque, importune peut-être, impuissante à coup sûr. Je ne puis rien, monsieur ; plaignez Polioni et plaignez-moi.

En France, Polioni eût été condamné, pour meurtre sans préméditation, à une peine temporaire. La pénalité anglaise manque de ce grand correctif, les circonstances atténuantes.

Que l’Angleterre, dans sa fierté, y songe ; à l’heure qu’il est, sa législation criminelle ne vaut pas la législation criminelle française, si imparfaite pourtant. De ce côté, l’Angleterre est en retard sur la France. L’Angleterre veut-elle regagner en un instant tout le terrain perdu, et laisser la France derrière elle ? Elle le peut. Elle n’a qu’à faire ce pas : Abolir la peine de mort.