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PENDANT L’EXIL. — 1866.

La France sans la liberté, c’est encore la déesse, ce n’est plus l’âme.

En quoi je diffère de vous, le voici : je suis un révolutionnaire. Pour moi la révolution continue.

Tous les deux ou trois mille ans, le progrès a besoin d’une secousse ; l’alanguissement humain le gagne, et un quid divinum est nécessaire. Il lui faut une nouvelle impulsion presque initiale. Dans l’histoire, telle que la courte mémoire des peuples nous la donne, la réaction chantée par Homère, de l’Europe sur l’Asie, a été la première secousse, le christianisme a été la seconde, la révolution française est la troisième.

Toute révolution a un caractère double, et c’est à cela qu’on la reconnaît ; c’est une formation sous une élimination.

On ne peut vouloir l’une sans vouloir l’autre, cette double acceptation caractérise le révolutionnaire.

Les révolutions ne créent point, elles sont des explosions de calorique latent, pas autre chose. Elles mettent hors de l’homme le fait éternel et intérieur dont la sortie est devenue nécessaire. C’est pour l’humanité une question d’âge. Ce fait, elles le dégagent ; on le croit nouveau parce qu’on le voit ; auparavant on le sentait. S’il était nouveau, il serait injuste ; il ne peut y avoir rien de nouveau dans le droit. L’élément qui apparaît et se révèle principe, telle est l’éclosion magnifique des révolutions ; le droit occulte devient droit public ; il passe de l’état confus à l’état précis ; il couvait, il éclate ; il était sentiment, il devient évidence. Cette simplicité sublime est propre aux actes de souveraineté du progrès.

Les deux dernières grandes secousses du progrès ont mis en lumière et dressé à jamais au-dessus des sociétés modifiables les deux grands faits de l’homme : le christianisme a dégagé l’égalité ; la révolution française a dégagé la liberté.

Là où ces deux faits manquent, la vie n’est pas.

Être tous frères, être tous libres, c’est vivre ; ce sont les deux mouvements de poumons de la civilisation.

Égalité, liberté, aspiration et respiration du genre humain.