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DEPUIS L’EXIL. — 1878.

J’ai tenu à marquer mon point de départ. J’ai voulu pouvoir dire : Voilà d’où je suis parti et voilà où je suis arrivé.

J’ai dit cela dans l’exil : Je suis parti de la condition heureuse et je suis monté jusqu’au malheur qui est la conséquence du devoir accompli, de la conscience obéie. (Applaudissements.) Je ne veux pas supprimer les premières années de ma vie.

Mais je vais bien plus loin, je dis : il ne dépend pas de l’auteur de faire une rature dans son œuvre quand il l’a publiée. Il peut faire une correction de style, il ne peut pas faire une rature de conscience. Pourquoi ? Parce que l’autre personnage, le public, a pris possession de son œuvre.

Il m’est arrivé quelquefois d’écrire des paroles sévères, que plus tard j’aurais voulu, par un sentiment de mansuétude, effacer. Il m’est arrivé un jour… je puis vous dire cela, de flétrir le nom d’un homme très coupable ; et j’ai certes bien fait de flétrir ce nom. Cet homme avait un fils. Ce fils a eu une fin héroïque, il est mort pour son pays. Alors j’ai usé de mon droit, j’ai interdit que ce nom fût prononcé sur les théâtres de Paris où on lisait publiquement les pièces dont je viens de vous parler. Mais il n’a pas été en mon pouvoir d’effacer de l’œuvre le nom déshonoré. L’héroïsme du fils n’a pas pu effacer la faute du père. (Bravos.)

Je voudrais le faire, je ne le pourrais pas. Si je l’avais pu, je l’aurais fait.

Vous voyez donc à quel point le public, la conscience humaine, l’intelligence humaine, l’esprit humain, cet autre personnage qui est en présence de l’auteur, a un droit absolu, droit auquel on ne peut toucher. Tout ce que l’auteur peut faire, c’est d’écrire loyalement. Quant à moi, j’ai la paix et la sérénité de la conscience. Cela me suffit. (Applaudissements.)

Laissons notre devoir et laissons l’avenir juger. Une fois l’auteur mort, une fois l’auteur disparu, son œuvre n’ap-