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DEPUIS L’EXIL. — 1877.

M. de Biéville a pris ensuite la parole :

Très cher et très illustre poète,

C’est comme le plus ancien des critiques dramatiques que quelques-uns de mes confrères m’ont fait l’honneur de me désigner pour vous porter un toast.

Quel chemin nous avons fait depuis le jour mémorable de la première représentation d’Hernani ! Alors, cher grand poète, vous comptiez déjà d’ardents admirateurs parmi les critiques dramatiques, mais vous y trouviez aussi d’ardents détracteurs ; aujourd’hui, l’admiration nous a tous gagnés.

Au nom de la critique dramatique, je bois à l’auteur d’Hernani, au plus grand poëte de ce siècle, au fondateur de la liberté dramatique au Théâtre-Français. (Applaudissements.)

M. Théodore de Banville s’est levé à son tour, et, tourné vers M. Victor Hugo, lui a dit, avec une émotion qui se communiquait à tout l’auditoire :

Maître,

Depuis bien longtemps, on ne compte plus vos chefs-d’œuvre. Cependant, vous en avez fait un aujourd’hui qui passe tous les autres : c’est d’avoir assemblé cent cinquante parisiens animés d’une même pensée. On dit qu’en ces temps troublés nous ne nous entendons sur rien ; c’est une erreur, puisque nous n’avons tous qu’une seule âme pour fêter et acclamer votre gloire. Le génie a cela de divin, entre autres choses, qu’il aplanit les obstacles, fond les dissentiments, et emporte les esprits dans son sillon de lumière.

Oui, vous nous unissez tous dans un même sentiment de reconnaissance et de fierté, car c’est grâce à vous que la France est elle-même vis-à-vis de l’étranger, et que, douloureusement blessée, elle reste encore victorieuse. Elle le sera toujours, puisqu’elle porte à son front la clarté de l’idée, et qu’il faut bien la suivre, si l’on ne veut pas marcher dans la nuit noire. Elle a toujours eu ce privilège de ravir par l’intelligence, d’entasser les merveilles, et de faire croire à ses miracles à force de miracles. C’est en quoi, Maître, vous la représentez parfaitement, car vous avez stupéfait l’envie et l’admiration elle-même, par le prodige d’une création inépuisable, qui foisonne comme les feuilles de la forêt et les étoiles du ciel. L’univers est encore ébloui de votre dernière œuvre, que déjà vous l’avez