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NOTES.

qui nous ont précédés, à nous faire revivre en plein Paris du moyen âge, parmi ses monuments et ses rues, comme avec les mœurs, les fêtes, les gaietés et les colères de nos aïeux.

Puis le poëte embrasse tout ce qu’il rencontre sur son chemin, la gloire des batailles et la pompe des sacres, la liberté, l’amour du droit, de la justice, la haine de la violence et du parjure, les malheurs comme les triomphes de la patrie. Rien n’échappe à son regard dans le domaine des sentiments comme dans celui de la nature. Comme Homère, il admire les merveilles de l’univers, « la terre, ce poëme éternel », « le ciel superbe et l’océan qui chantent les beautés de la création ». Comme Shakespeare, il pénètre dans les plus profonds replis de l’âme humaine ; il en a scruté toutes les faiblesses et toutes les grandeurs.

Ainsi va son poëme depuis les Odes et Ballades, les Voix intérieures, par les Contemplations et par les Châtiments, jusqu’à la Légende des Siècles, cette épopée du genre humain, jusqu’à l’Année terrible, ce cri d’amour filial et de pitié.

Le drame s’y vient mêler à la poésie, drame étrange qui semble inventé en pleine fantaisie, en dehors de toute réalité et de toute convention.

Quel drame cependant s’empare plus violemment de nos âmes ! Où trouver à la fois des situations plus hardies et plus fortes, plus de charme ou de grandeur dans les sentiments et dans la pensée, plus de grâce ou de noblesse dans le langage ?

Pour cette œuvre, il a fait sa langue, ou plutôt il a renouvelé et transformé notre vieille langue française. En l’arrachant aux anciennes formules, en la démocratisant, il y a découvert de nouvelles ressources et lui a donné une souplesse, une vigueur, une magnificence inconnue jusqu’à lui.

Et c’est pourquoi, malgré les prétentions révolutionnaires de sa jeunesse, bien qu’il se soit vanté « d’avoir tout saccagé, tout secoué du haut jusques en bas », Victor Hugo de son vivant est devenu classique. Il figurait déjà dans la glorieuse pléiade des grands poètes avec Corneille, Molière, Racine, Voltaire… Permettez-moi de ne citer que des gloires françaises ; elles suffisent à remplir ce cénacle d’élus.

Mais il n’est pas seulement égal à eux, il les dépasse par tout ce que son âme a de plus grand et de plus vaste, cette âme « où sa pensée habite comme un monde ». Le poëte en Victor Hugo n’est plus qu’une partie de l’homme, ou plutôt l’homme a compris à sa manière le rôle du poëte, et cette conception supérieure l’élève et le conduit.

Lui-même l’a dit : « Dans cette mêlée d’hommes, de destinées et d’intérêts qui se ruent si violemment tous les jours sur chacune des œuvres qu’il est donné à ce siècle de faire, le poëte a une fonction