Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/155

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tules le calus de l’agenouillement, à sucrer vos paroles, quand vous êtes rongé de colère, quand vous mâchez des cris de fureur, et quand vous avez en vous plus de soulèvement sauvage et plus d’écume amère que l’Océan !

C’est ainsi que les riches font prisonnier le pauvre.

Cette glu de la bonne action commise sur vous vous barbouille et vous embourbe pour toujours.

Une aumône est irrémédiable. Reconnaissance, c’est paralysie. Le bienfait a une adhérence visqueuse et répugnante qui vous ôte vos libres mouvements. Les odieux êtres opulents et gavés dont la pitié a sévi sur vous le savent. C’est dit. Vous êtes leur chose. Ils vous ont acheté. Combien ? un os, qu’ils ont retiré à leur chien pour vous l’offrir. Ils vous ont lancé cet os à la tête. Vous avez été lapidé autant que secouru. C’est égal. Avez-vous rongé l’os, oui ou non ? Vous avez eu aussi votre part de la niche. Donc remerciez. Remerciez à jamais. Adorez vos maîtres. Génuflexion indéfinie. Le bienfait implique un sous-entendu d’infériorité acceptée par vous. Ils exigent que vous vous sentiez pauvre diable et