Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous. À en croire les manichéens, l’absolu plie par moments, et Dieu lui-même a des intermittences. Entendons-nous aussi sur la volonté. Qu’elle puisse jamais être tout à fait impuissante, nous ne l’admettons pas. Toute existence ressemble à une lettre, que modifie le post-scriptum. Pour Gwynplaine, le post-scriptum était ceci : à force de volonté, en y concentrant toute son attention, et à la condition qu’aucune émotion ne vînt le distraire et détendre la fixité de son effort, il pouvait parvenir à suspendre l’éternel rictus de sa face et à y jeter une sorte de voile tragique, et alors on ne riait plus devant lui, on frissonnait.

Cet effort, Gwyynplaine, disons-le, ne le faisait presque jamais, car c’était une fatigue douloureuse et une tension insupportable. Il suffisait d’ailleurs de la moindre distraction et de la moindre émotion pour que, chassé un moment, ce rire, irrésistible comme un reflux, reparût sur sa face, et il était d’autant plus intense que l’émotion, quelle qu’elle fût, était plus forte.

À cette restriction près, le rire de Gwynplaine était éternel.