Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/316

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monde, Quoi ! ces horribles flots lâchement triomphants, Quoi ! ces vieux laboureurs, quoi ! ces petits enfants, Ces nouveau-nés cherchant des seins, trouvant des fosses, Quoi ! ces mères pleurant leurs fils, ces femmes grosses Qui flottent, l'œil fermé, dans le gouffre écumant, Et dont le ventre mort apparaît par moment Sous le glissement noir de cette transparence, Quoi ! toute cette horreur, toute cette souffrance, L'eau jetée au hasard comme on jette les dés, Quoi ! la brutalité des fleuves débordés, Ce serait lui ! ce Dieu ferait ces catastrophes ! Lui qu'adore le rêve obscur des philosophes, Lui devant qui l'on sent tressaillir la forêt, Lui, que l'uléma chante au haut du minaret Et que l'évêque loue en élevant sa crosse, Lui, ce père ! il serait cette bête féroce ! Ah ! si vous disiez vrai, myopes de l'autel, Si ce prodigieux et sublime Immortel Avait de tels accès, et s'il était possible Qu'ainsi qu'un archer sombre il eût l'homme pour cible, S'il pouvait être pris dans ce flagrant délit, S'il chassait les torrents farouches de leur lit, S'il tuait, fou lugubre, en croyant qu'il se venge, Alors la Justice, âpre et formidable archange, Se dresserait devant le pâle Créateur, Questionnerait l'être immense avec hauteur,