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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

le temps d’il y a trois jours ? Quel massacre de vent et de pluie ! Le ciel tirait le canon. Gilliatt a reçu ça dans les Douvres. Ça ne l’a pas empêché de décrocher l’épave comme je décroche ma montre. Grâce à lui, je redeviens quelqu’un. La galiote au père Lethierry va reprendre son service, messieurs, mesdames. Une coquille de noix avec deux roues et un tuyau de pipe, j’ai toujours été toqué de cette invention-là. Je me suis toujours dit : j’en ferai une ! Ça date de loin ; c’est une idée qui m’est venue à Paris dans le café qui fait le coin de la rue Christine et de la rue Dauphine en lisant un journal qui en parlait. Savez-vous bien que Gilliatt ne serait pas gêné pour mettre la machine de Marly dans son gousset et pour se promener avec ? C’est du fer battu, cet homme-là, de l’acier trempé, du diamant, un marin bon jeu bon argent, un forgeron, un gaillard extraordinaire, plus étonnant que le prince de Hohenlohe. J’appelle ça un homme qui a de l’esprit. Nous sommes tous des pas grand’chose. Les loups de mer, c’est vous, c’est moi, c’est nous ; mais le lion de mer, le voici. Hurrah, Gilliatt ! Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais certainement il a été un diable, et comment veut-on que je ne lui donne pas Déruchette !

Depuis quelques instants Déruchette était dans la salle. Elle n’avait pas dit un mot, elle n’avait pas fait de bruit. Elle avait eu une entrée d’ombre. Elle s’était assise, presque inaperçue, sur une chaise en arrière de mess Lethierry debout, loquace, orageux, joyeux, abondant en gestes et parlant haut. Un peu après elle, une autre apparition muette s’était faite. Un homme vêtu de noir, en cravate blanche, ayant son chapeau à la main, s’était arrêté dans l’entre-bâil-