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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/21

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chimériques, plus d’êtres impossibles que Saint-Antoine n’en a vu et que Callot n’en a rêvé.

Deux hommes faisaient figure sur ce tréteau. L’un, sale comme Job, bronzé comme Ptha, coiffé comme Osiris, gémissant comme Memnon, avait je ne sais quoi d’oriental, de fabuleux, de stupide et d’égyptien, et frappait sur un gros tambour tout en soufflant au hasard dans une flûte. L’autre le regardait faire. C’était une espèce de Sbrigani, pansu, barbu, velu et chevelu, l’air féroce, et vêtu en hongrois de mélodrame.

Autour de cette baraque, de ce tréteau et de ces deux hommes, force paysans passionnés, force paysannes fascinées, force admirateurs les plus affreux du monde ouvraient des bouches niaises et des yeux bêtes. Derrière l’estrade quelques enfants pratiquaient artistement des trous à la vieille toile blanche et bleue, qui faisait peu de résistance et leur laissait voir l’intérieur de la baraque.

Comme nous arrivions l’égyptien termina sa fanfare et le Sbrigani se mit à parler. G― se mit à écouter.

Excepté l’invitation d’usage : Entrez et vous verrez, etc., je déclare que ce que disait ce fantoche était parfaitement inintelligible pour moi, pour les paysans et pour l’égyptien, lequel avait pris une posture de bas-relief et prêtait l’oreille avec autant de dignité que s’il eût assisté à la dédicace des grandes colonnes de la salle hypostyle de Karnac par Menephta Ier, père de Rhamsès II.

Cependant, dès les premières paroles du charlatan, G― avait tressailli. Au bout de quelques minutes il se pencha vers moi et me dit tout bas : — Vous qui êtes jeune, qui avez de bons yeux et un crayon, faites-moi le plaisir d’écrire ce que dit cet homme. — Je voulus demander à G― l’explication de cet étrange désir, mais déjà son attention était retournée au tréteau avec trop d’énergie pour qu’il m’entendît. Je pris le parti de satisfaire G-, et comme le charlatan parlait avec une lenteur solennelle, voici ce que j’écrivis sous sa dictée :

— « La famille des scyres se divise en deux espèces : la première n’a pas d’yeux ; la seconde en a six, ce qui la distingue du genre cunaxa, qui en a deux, et du genre bdella, qui en a quatre. »