l’activité universelle, épiant sans cesse pour choisir leur moment le vaste atelier européen, l’un procédant par invasion, l’autre par empiétement ; l’un bruyant et terrible dans son allure, brisant de temps à autre les barrières et faisant brèche à la muraille ; l’autre, habile, adroit et politique, se glissant par toute porte entr’ouverte, tous deux gagnant continuellement du terrain, troublaient, pressaient entre eux et menaçaient alors l’Europe. Ces deux intérêts, ennemis d’ailleurs, se personnifiaient en deux empires ; et ces deux empires étaient deux colosses.
Le premier de ces deux colosses, qui avait pris position sur un côté du continent au fond de la Méditerranée, représentait l’esprit de guerre, de violence et de conquête, la barbarie. Le second, situé de l’autre côté, au seuil de la même mer, représentait l’esprit de commerce, de ruse et d’envahissement, la corruption. Certes, voilà bien les deux ennemis naturels de la civilisation.
Le premier de ces deux colosses s’appuyait puissamment à l’Afrique et à l’Asie. En Afrique, il avait Alger, Tunis, Tripoli de Barbarie et l’Égypte entière d’Alexandrie à Syène, c’est-à-dire toute la côte depuis le penon de Velez jusqu’à l’isthme de Suez ; de là il s’enfonçait dans l’Arabie Troglodyte, depuis Suez sur la mer rouge jusqu’à Suakem.
Il possédait trois des cinq tables en lesquelles Ptolémée a divisé l’Asie, la première, la quatrième et la cinquième.
Posséder la première table, c’était avoir le Pont, la Bithynie, la Phrygie, la Lycie, la Paphlagonie, la Galatie, la Pamphylie, la Cappadoce, l’Arménie mineure, la Caramanie, c’est-à-dire tout le Trapezus de Ptolémée depuis Alexandrette jusqu’à Trébisonde.
Posséder la quatrième table, c’était avoir Chypre, la Syrie, la Palestine, tout le rivage depuis Firamide jusqu’à Alexandrie, l’Arabie Déserte et l’Arabie Pétrée, la Mésopotamie, et Babylone, qu’on appelait Bagadet.
Posséder la cinquième table, c’était avoir tout ce qui est compris entre deux lignes dont l’une monte de Trébizonde au nord jusqu’à l’Hermanassa de Ptolémée et jusqu’au Bosphore Cimmérien, que les italiens appelaient Bouche-de-Saint-Jean, et dont l’autre, entamant l’Arabie Heureuse, va de Suez à l’embouchure du Tigre.