vieille souche, piqué par la nuée des pamphlets de Londres comme le taureau par un essaim de frelons, gêné dans ses moyens d’action, troublé dans son opération colossale et délicate, il avait fait deux grandes fautes, l’une au midi, l’autre au nord ; il avait froissé l’Espagne et blessé la Prusse. Il s’ensuivit une réaction terrible, et juste sous quelques rapports. Comme l’Espagne, la Prusse se souleva. L’Allemagne trembla sous les pieds de l’empereur. Cherchant du talon son point d’appui, il recula jusqu’en France, où il retrouva la terre ferme. Là, durant trois grands mois, il lutta comme un géant corps à corps avec l’Europe. Mais le duel était inégal ; ainsi que dans les combats d’Homère, l’océan et l’Asie secouraient l’Europe. L’océan vomissait les anglais ; l’Asie vomissait les cosaques. L’empereur tomba ; la France se voila la tête ; mais, avant de fermer les yeux, à l’avant-garde des hordes russes, elle reconnut l’Allemagne.
De là une rupture entre les deux peuples. L’Allemagne avait sa rancune ; la France eut sa colère.
Mais chez des nations généreuses, sœurs par le sang et par la pensée, les rancunes passent, les colères tombent ; le grand malentendu de 1813 devait finir par s’éclaircir. L’Allemagne, héroïque dans la guerre, redevient rêveuse à la paix. Tout ce qui est illustre, tout ce qui est sublime, même hors de sa frontière, plaît à son enthousiasme sérieux et désintéressé. Quand son ennemi est digne d’elle, elle le combat tant qu’il est debout ; elle l’honore dès qu’il est tombé. Napoléon était trop grand pour qu’elle n’en revînt pas à l’admirer, trop malheureux pour qu’elle n’en revînt pas à l’aimer. Et pour la France, à qui Sainte-Hélène a serré le cœur, quiconque admire et aime l’empereur est français. Les deux nations étaient donc invinciblement amenées, dans un temps donné, à s’entendre et à se réconcilier.
L’Angleterre et la Russie prévirent cet avenir inévitable ; et, pour l’empêcher, peu rassurées par la chute de l’empereur, motif momentané de rupture, elles créèrent entre l’Allemagne et la France un motif permanent de haine.
Elles prirent à la France et donnèrent à l’Allemagne la rive gauche du Rhin.