Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/85

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sommeil profond des justes, la tête sur mon sac de nuit.

Fort surpris de ce dernier prodige, je secouai l’homme ; il s’éveilla ; la jeune fille et lui échangèrent quelques paroles à voix basse, et deux minutes après, nous nous retrouvions, mon sac de nuit et moi, fort confortablement installés dans une chambre excellente, à rideaux blancs comme neige.

Or, j’étais à l’hôtel de la cour de Zaehringen.

Voici maintenant l’explication de ce conte d’Anne Radcliffe.

A la douane de Kehl, le conducteur de la malle badoise, m’ayant entendu parler latin (non sans barbarismes) avec un digne pasteur qui s’en retournait à Zurich, et espagnol avec un colonel Duarte, qui va par la Savoie rejoindre don Carlos, en avait conclu que je savais l’allemand, et ne s’était plus autrement inquiété de moi. À Freiburg, le kellner, c’est-à-dire le factotum de l’hôtel de Zaehringen, attendait la malle-poste à son arrivée, et le courrier, en débarquant, m’avait montré à lui à mon insu, en lui disant : Voilà un voyageur pour vous, puis lui avait remis mon sac de nuit pendant que je me démenais au milieu des allemands. Le kellner, me croyant averti, avait pris les devants avec mon sac et était allé m’attendre à l’hôtel, où il dormait dans la salle basse. Vous devinez le reste.

Il y a pourtant dans l’aventure un hasard d’une grande beauté ; c’est qu’en sortant de la porte j’ai pris à droite, et non à gauche. Dieu est grand.

Les spectres impassibles qui buvaient du café étaient tout bonnement les voyageurs de la diligence de Francfort à Genève, qui mettaient à profit l’heure de répit que la voiture leur accorde au point du jour ; braves gens un peu affublés à l’allemande, qui me paraissaient étranges et auxquels je devais paraître absurde. La jeune fille, c’était une jolie servante de l’hôtel de Zaehringen. Le grand papillon noir, c’est la coiffure du pays. Coiffure gracieuse. De larges rubans de soie noire ajustés en cocarde sur le front, cousus à une calotte également noire, quelquefois brodée d’or à son sommet, derrière laquelle les cheveux tombent sur le dos en deux longues nattes. Les deux bouts de