Page:Humboldt - Vues des Cordillères, 1816, tome 1.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
et monumens de l’amérique.

Peu de personnes aisées ayant, dans ces climats, l’habitude de marcher à pied et dans des chemins aussi difficiles pendant quinze ou vingt jours de suite, on se fait porter par des hommes qui ont une chaise liée sur le dos ; car, dans l’état actuel du passage de Quindiu, il seroit impossible d’aller sur des mules. On entend dire dans ce pays, aller a dos d’homme (andar en carguero), comme on dit aller à cheval. Aucune idée humiliante n’est attachée au métier des cargueros. Les hommes qui s’y livrent ne sont pas des Indiens, mais des métis, quelquefois même des blancs. On est souvent surpris d’entendre des hommes nus, qui sont voués à une profession aussi flétrissante à nos yeux, se disputer, au milieu d’une forêt, parce que l’un d’eux a refusé à l’autre, qui prétend avoir la peau plus blanche, les titres pompeux de Don ou de Su Merced. Les cargueros portent communément six à sept arrobas (soixante-quinze à quatre-vingt-huit kilogrammes) ; il y en a de très-robustes qui portent jusqu’à neuf arrobas. Quand on réfléchit sur l’énorme fatigue à laquelle ces malheureux sont exposés