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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

ne comprends absolument pas ce qu’ils disent, ni ce qu’ils veulent dire… je n’en pense absolument rien !

— Pourtant…

— Pourtant, quoi ? Oui, je pense qu’ils gâchent leur temps, leur jeunesse à faire des choses qu’ils brûleront dans quelques années. C’est vraiment extraordinaire et c’est triste aussi, cela ! J’en vois quelques-uns ici qui parlent très bien, très clairement, comme des Français et comme des gens sensés, et puis, aussitôt qu’ils mettent leur encre sur leur papier, c’est fini, éclipse totale de français, de clarté et de bon sens ! C’est prodigieux, une pareille aberration ! Et cette langue ! Tenez, prenez un chapeau, mettez-y des adverbes, des conjonctions, des prépositions, des substantifs, des adjectifs, tirez au hasard et écrivez : vous aurez du symbolisme, du décadentisme, de l’instrumentisme et de tous les galimatias qui en dérivent. Vous riez ? Mais je vous assure que c’est sérieux ; ce qu’ils font n’est pas autre chose. Ce sont les « amateurs de délire » dont parle Baudelaire : lancez en l’air, disait-il, des caractères d’imprimerie, et cela retombera en vers sur le papier ! Eh bien ! les symbolistes ont cru Baudelaire, ah ! ah ! ce sont des amateurs de délire !

Un moment, on rit. Je regardais M. Leconte de Lisle dont le monocle glissait sur la peau, moite sans