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ENQUÊTE

nécessairement de la lyre que du « bobre madécasse. »

Et maintenant, puisqu’on m’y force, je répondrai à certaines personnes qui, à bout d’arguments, ont la sottise d’agiter mon origine hellénique : que je m’estime, en mon art, deux fois Français, étant né Grec. Car, à la vérité, le brandon de Poésie que la France, — qui m’apprit à chanter, — porte aujourd’hui avec tant d’éclat, elle le tient de Rome laquelle le tenait de la Grèce immortelle, — qui me donna naissance.

C’est, en effet, l’esprit roman qui préside à la genèse poétique en France ; c’est sa lignée que nous retrouvons (malgré telles apparences) dans Ronsard comme dans Racine. En lui est le germe des seules légitimes nouveautés ; hors lui, il n’y a que bâtardise. C’est pourquoi j’appelle ROMANE la rénovation que je tente.

Ainsi, pour l’intégrité de mon idéal, je dois rompre avec mes amis Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé, de qui je sais priser mieux qu’un autre le rare mérite. Car le symbolisme de la première heure souffre de la fatalité des transitions : il est pris du pied droit dans le sépulcre romantique.

Remonter aux sources vives de la langue afln de rendre à la poésie française ce caractère primordial dont j’ai parlé ; évoquer l’âme moderne dans son apparat héréditaire, c’est ce que mon instinct tente dans le Pèlerin Passionné. Démontrer au public qu’il n’est ni décadent, ni névrosé, ni anti-patriote, ni sceptique ; que le Satanisme et les « bonnes pourritures bien gratinées » n’existent que dans le cerveau sordide d’un Hollandais, Joris-Karl Huysmans : c’est la nécessité dont s’avise, d’une adhésion déjà féconde, toute une indemne jeunesse.

Je veux, Monsieur, finir cette lettre par un public hommage de ma reconnaissance à M. Anatole France qui, par une critique hardie et loyale, a bien voulu rendre justice à