Page:Huston - Le répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, 1848, II.djvu/80

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Cette voix qui surgit de ce carnage immonde ;
Cette voix qui nous parle et n’est pas de ce monde :
« Frères, écoutez-moi, je sais la vérité ;
J’ai combattu, j’ai vu tomber de tout côté
Nos plus fiers combattants ! Oh ! l'infamante orgie !
Chacun criait : mourons, mourons pour la patrie ;
Mais mourez avec nous, traîtres et renégats,
Vous dont les noirs forfaits nous ont fait tous soldats.
C'est du sang qu’il nous faut ! — Oui, c’est du sang, mes frères,
Mais notre propre sang versé pour des chimères.
Sur ce sol meurtrier ne suivez point nos pas;
Vous pouvez nous pleurer, mais ne nous vengez pas.
Un vertige effroyable avait saisi nos âmes,
Rehaussant à nos yeux de criminelles trames :
Mais tant d’affreux complots faits pour la liberté
Ont-ils jamais valu le sang qu’ils ont coûté ?
Les temps sont encor loin où la justice humaine
Veut qu’un peuple colon secoue enfin sa chaîne.
Le peuple ne sent point l’empreinte de ses fers ;
Soumis, il se croit libre, heureux en ses déserts,
Sous l’égide des lois qu'il tient de ses ancêtres,
Et le sceptre qu’il voit dans les mains de ses maîtres.
Mais, frères, si jamais l’on vous veut asservir;
Oui, si de nos méfaits l’on vous ose punir,
De nos tombeaux vengeurs évoquez donc nos âmes,
Et vous verrez bientôt tout le pays en flammes.
Contre l’oppression sachez qu’un peuple est fort,
Et qu’il faut plus d’un coup pour lui donner la mort :
Comme de neige on voit se grossir une boule,
Il passe ; un trône tombe, un empire s’écroule.
Mais, non ; ne croyons pas que jaloux de ses droits,
Le peuple que l’on vit détrôner tant de rois,
À qui l’Europe doit ses plus chères doctrines,
Consente à provoquer les sanglantes matines
Dont jadis la Sicile a vu souiller ses bords,
Et fasse un peuple ilote, ou règne sur des morts !
Ah ! maudit à jamais soit l’infernal génie
Qui semant parmi nous la discorde et l’envie,
Voyait avec plaisir, par un dépit commun,
Deux races de sujets s’égorger un par un.
Nous pouvions être heureux, unis comme des frères ;
Divisés, Dieu sur nous fait pleuvoir ses colères...