Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/213

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où on laisse brailler à table. Il n’y manquait vraiment que les timbales au fond rougi par l’abondance, et l’assiette retournée pour étaler sur une place moins sale les pruneaux ou les confitures.

Certes, la pâture et le vin étaient misérables, mais ce qui était plus misérable que la pâture et plus misérable que le vin, c’était la compagnie au milieu de laquelle on mâchait ; c’étaient les maigres servantes qui apportaient les plats, des femmes sèches, aux traits accentués et sévères, aux yeux hostiles. Une complète impuissance vous venait, en les regardant ; on se sentait surveillé et l’on mangeait, découragé, avec ménagement, n’osant laisser les tirants et les peaux, de peur d’une semonce, appréhendant de reprendre un plat, sous ces yeux qui jaugeaient votre faim et vous la refoulaient au fond du ventre.

— Eh bien, que vous disais-je, affirmait M. Martinet, c’est gai, n’est-ce pas ? et, ici, c’est de la vraie viande.

M. Folantin ne soufflait mot ; autour de lui, les tables vacarmaient avec un bruit terrible.

Toutes les races du Midi emplissaient les sièges, crachaient et se vautraient, en mugissant. Tous les gens de la Provence, de la Lozère, de la Gascogne, du Languedoc, tous ces gens, aux joues obscurcies par des copeaux d’ébène, aux narines et aux doigts poilus, aux voix retentissantes, s’esclaffaient comme