Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/119

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la crise, il était entré en pleine voie de guérison, pensait moins souvent à sa femme, avait simplement gardé d’elle un souvenir lent et triste. Par instants même il lui semblait être toujours resté garçon ; le passé lui apparaissait lointain et confus comme ces vagues souvenirs que l’on conserve, même rétabli, des hallucinations entrevues pendant la fièvre. Il croyait avoir atteint la délivrance qu’il souhaitait. Il ne doutait plus que ce rêve caressé : rayer deux années de sa vie, ne pût enfin devenir possible.

Il s’abandonnait aux gâteries enveloppantes de sa bonne. Excellente cuisinière, Mélanie, pour reprendre son influence dans la maison, lui prépara des mets à se lécher les doigts, des fritures qu’elle réussissait d’étonnante façon, d’impérieuses rémolades, de pétulantes ravigotes, voire même quelques bons plats familiers, tels que veau à la casserole, miroton embrené de moutarde, lapin aux pommes sauté dans d’incomparables sauces au vin.

Puis, c’était Cyprien qui arrivait souvent pour dîner au hasard du pot ; et c’étaient des repas charmants où l’on causait d’art, où l’on s’attardait, les coudes sur la table, dégustant des petits verres, chassant la fumée des cigarettes qui montait en tourbillonnant sous l’abat-jour.

Et ces jours-là, Mélanie était superbe ; prise à l’improviste, elle servait, en quelques minutes, un dîner suffisant et passable, appuyait les plats de consistance trop courts de mirifiques omelettes au fromage,