Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/121

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table autrement placée que de coutume. Il avait donc tout d’abord usé de longues heures à examiner, un à un, ses bibelots, ses livres, puis à en embrasser l’ensemble, à s’en remplir les yeux, à les gaver de telle sorte que leur appétit de distraction cessât. – C’était une affaire de quinze jours au moins. – Cette période était écoulée depuis longtemps déjà et cependant quoiqu’il tentât pour s’entraîner, ses efforts rataient. Il se mettait devant son bureau, voyait la scène qu’il voulait décrire, saisissait la plume et il demeurait là, inerte, comme ces gens qui, après avoir longtemps espéré le dîner, ne peuvent plus avaler une bouchée dès qu’ils sont à table.

Il en déchirait son papier de rage. Pour un peu, il se serait cru idiot. Il appréhenda que son intelligence n’eût été tout d’un coup faussée. Il se désola, pensant qu’il resterait peut-être frappé d’impuissance, puis il regimba, se rappela les quelques bonnes pages qu’il avait autrefois écrites, pour affermir son courage, suivit les conseils de Cyprien qui l’engageait à ne pas se surmener, à laisser la machine reprendre tranquillement haleine. Il s’occupa de travaux de retouche, rebouta les termes pied-bot, obtura les trous, émonda les végétations de ses phrases, attendit comme le mécanicien qui promène sa bête sur le rail pour la mettre en train, qu’elle fût assez chauffée pour gagner le large. Et c’étaient de longs débats avec lui-même, des luttes engagées contre Cyprien qui le voyant irrésolu, moins entier et moins stable