Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/212

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en face de Chevet, dans le même couloir, montait chaque fois qu’il le longeait, une odeur de vinaigre chaud à l’échalotte et d’oignons qui roussissent dans une poêle. Il baguenaudait, revenant sur ses pas, examinant la vitrine affriolante du marchand de primeurs, avec ses tortues endormies sous un jet d’eau dans une cuvette, ses grands poissons fumés couleur de colle forte, ses oranges posées dans du papier de soie comme des boules de seins dans un corsage, ses jambonneaux, ses mortadelles, ses poulardes et ses fruits. si énormes et si superbes, qu’ils semblent façonnés par la main de l’homme.

Et il tirait encore sa montre, arrivait dans ce carré à colonnes qui sert de vestibule à la galerie d’Orléans et il demeurait extasié devant cette boutique où se prélassent les extraordinaires tromblons de la vieille garde, les invraisemblables schapskas, les exorbitants kolbachs des soldats du premier Empire, et il pensait, narquois, que ça puait le Laurent de l’Ardèche et le Marco Saint-Hilaire, l’histoire écrite pour les Invalides qu’on a oublié de nous tuer !

Puis, opérant une volte-face, s’engageant dans la galerie vitrée, il errait, se demandant s’il reconnaîtrait Jeanne. L’image de cette fille se brouillait toujours devant lui. Ils étaient peut-être tellement changés, tous les deux, qu’ils passeraient l’un à côté de l’autre sans se voir ; mais cette crainte ne l’étreignit que pendant une minute, il était impossible